Pour Adrienne
Charmet-Alix, de l'association la Quadrature du Net, la campagne du
Syndicat national de l'édition contre la réforme européenne du droit
d'auteur ne tient compte ni des lecteurs ni des auteurs.
Ce sont trente pages en forme de réquisitoire, diffusées, depuis aujourd’hui, gratuitement en librairie et sur le site web auteursendanger.fr, et intitulées – savoureux paradoxe – la Gratuité, c’est le vol. Mandaté par le Syndicat national de l’édition (SNE), l’avocat Richard Malka y taille en pièces le projet de réforme du droit d’auteur porté par la Commission européenne et l’eurodéputée pirate Julia Reda, accusé de «fragiliser la création littéraire française au profit des géants du numérique américains»,
et s’inquiète du contenu de la future loi sur le numérique que prépare
Axelle Lemaire en France. Pour Adrienne Charmet-Alix (photo The
Supermat, CC BY-SA), coordinatrice des campagnes de l’association de
défense des libertés en ligne la Quadrature du Net, qui défend depuis
des années la légalisation du partage hors marché et propose la mise en place d’une «contribution créative» pour financer la création culturelle, la campagne du SNE est une «imposture intellectuelle».
Selon Richard Malka et le SNE, la réforme européenne du droit d’auteur et la future loi Lemaire mettent les «auteurs en danger», au profit des géants du Net. Comment réagissez-vous ?
Quels sont les enjeux de ce débat ?
C’est clairement un combat pour la sauvegarde des
structures traditionnelles. Dans ce cas précis, on parle du livre, mais
cela vaut aussi pour la musique ou l’audiovisuel. Il y a une volonté de
ne pas bouger, de faire entrer la diffusion numérique dans les canaux de
la diffusion classique. Or, le numérique a tout changé : c’est la
déterritorialisation, les nouveaux formats, l’accès à beaucoup plus de
culture. Nous considérons que c’est une chance, que cela fait progresser
l’accès à la connaissance et l’émancipation. Est-ce qu’au nom de la
défense d’un modèle basé sur la rareté, les frontières nationales et les
objets physiques, on va passer à côté des potentialités ouvertes par le
numérique ? Ou est-ce qu’on va assouplir les règles, pour assurer à la
fois le partage et une rémunération équitable des créateurs ?
Accompagner les auteurs dans l’écriture et la diffusion,
c’est bien sûr un vrai travail. Mais ces éditeurs-là ne veulent pas que
le numérique soit l’occasion d’un partage plus large, notamment via les
bibliothèques ou l’exception pédagogique. Dans quelle mesure ne
portent-ils pas préjudice aux auteurs en défendant des positions qui
nuisent, de fait, à la diffusion ? Tout doit être acheté, tout doit
faire l’objet d’une rémunération… Alors qu’on sait bien que la
circulation des œuvres, leur réputation, ce sont aussi de puissants
moteurs d’achat. Le partage n’est pas un frein, au contraire. Le partage
non marchand entre individus a toujours existé, il s’est massifié avec
Internet. Il y a un refus de prendre en compte cette opportunité.
Ce serait quoi, une «bonne» réforme du droit d’auteur ?
Tout dépend de l’endroit où on met le curseur. Il y a un
curseur «léger», qui est précisément la proposition de l’eurodéputée
pirate Julia Reda au Parlement européen, et qui suggère des
assouplissements, par exemple des exceptions au droit d’auteur en
matière de recherche ou d’éducation. L’exception pédagogique,
aujourd’hui, est très restrictive, très alambiquée, elle ne prend en
compte que le cadre scolaire, mais pas l’éducation populaire. Il
n’existe pas de droit de citation en matière audiovisuelle. On peut
aussi citer le fair use, «l’usage légitime» : par exemple, la
version anglophone de Wikipédia reproduit les affiches des films dans
les fiches qui y sont consacrées, ce qui est interdit en France. Le
rapport Reda veut rendre obligatoires toutes les exceptions, pour éviter
des transpositions «à la carte» de la directive sur le droit d’auteur.
C’est une vision assez modérée. Et puis il y a la vision
que nous défendons à la Quadrature du Net, qui est une vision de réforme
beaucoup plus profonde. Nous sommes pour une légalisation totale du
partage non marchand entre individus, et pour une réforme de la
rémunération des auteurs, qui reposerait sur un financement de la
création mutualisé entre usagers et contributeurs, et où les créateurs
seraient rémunérés équitablement en fonction du partage de leurs œuvres.
C’est évidemment beaucoup plus complexe. Pour cela, il faut tout
remettre à plat.
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