mercredi 31 décembre 2014

L’atelier web s’affirme comme une fabrique de nouvelles formes de littérature.


Sur le Web, les écrivains ne se cachent plus pour écrire


Natacha Margotteau, journaliste RUE89 31/12/2014

Après quelques passages inspirants dans le monde, un écrivain s’isole dans le silence d’une pièce pour rédiger son œuvre : c’est l’image commune. Rien ne se sait ni ne se dit sur comment il écrit. Tout cela semble faire partie du secret des cieux. Que l’ordinateur soit depuis passé par là ne change rien à l’affaire : le bureau de l’auteur reste un sanctuaire.

Sauf que le Web fait tomber les murs. Nombre d’écrivains ont ouvert leur blog ou site de création littéraire sur la Toile : Ambo(i)lati Chantier, Matériau composite, Chutes fragments et conséquences, Tentatives, FaceEcran, Aux bords des mondes, Liminaire, Fenêtres openspace, Petit Racine... Autant de noms qui révèlent le sens de leur démarche.

L’atelier grand ouvert de François Bon


Les écrivains y travaillent à bureau ouvert, sans porte ni fenêtre. Ils nous offrent un accès libre à leur atelier d’écriture.



Capture d’écran du site Tiers Livre (François Bon)

François Bon, écrivain pionnier de l’aventure littéraire numérique, tient son atelier grand ouvert sur le site Tiers Livre depuis 1997. Entrer dans son site, c’est se déplacer dans tous les recoins de la pièce. L’ensemble des tiroirs dans lesquels l’auteur range de près ou loin tout ce qui touche à l’exercice de son travail d’écriture :

  • les textes de ses projets en cours,
  • les notes sur ses écrits web et imprimés,
  • son journal,
  • ses notes de réflexion,
  • ses notes de lectures.
  • Mais aussi sa bibliothèque littéraire et musicale.

Depuis, d’autres auteurs ont développé leur propre atelier.

Julien Boutonnier, auteur de « Ma mère est lamentable » (paru chez Publie.net poésie en mai 2014), a ouvert son blog Peut(-)être il y a bientôt deux ans. Dans son atelier numérique, il nous donne à voir deux choses essentielles du travail de l’écrivain : ce qui fait les tâtonnements de l’écriture et comment le temps travaille à l’œuvre. Il publie ses textes successivement dans toutes leurs versions provisoires.

Par exemple, pour le texte Balise P (E,6), on trouve trois versions différentes qui montrent chacune comment l’auteur travaille ses épreuves : les mots ajoutés, retirés ou modifiés, une ponctuation déplacée ou effacée. Nous voyons les textes en train de se faire et de se défaire en temps réel.

Julien Boutonnier prend le pari d’exposer son travail dans toutes ses temporalités : un an sépare la première version de la seconde (écrite le 18 novembre 2014), elle-même reprise seulement cinq jours plus tard. L’écrivain déclare « s’autoriser à ce que le texte existe dans chacune de ses versions pour le laisser vivre en tant que texte et y revenir tranquillement, avec la bonne distance ». Mais aussi au bon moment car « l’écriture dans son rythme et sa diversité est difficile à soutenir dans une vie qui a ses propres irrégularités. J’obéis à des nécessités d’écriture qui ne sont pas rationnelles et que j’entends laisser dans leur irrationalité. »

Dans la colonne gauche de son blog, il montre la liste de ses travaux en cours : des projets suivis selon des rythmes différents, mis en attente ou repris.

« Sur mon blog, je laisse cela à découvert. Il peut y avoir des textes qui ne font que commencer ou qui ne se termineront pas. Un texte se termine selon sa nécessité. »

Laboratoire d’essai


Julien Boutonnier expose ainsi toute l’incertitude qui constitue le travail de l’écrivain, les hésitations, les errances et les repentirs inhérents et nécessaires à l’écriture. L’auteur précise :

« Je travaille des ensembles cohérents qui ne sont pas des séries autour d’un thème mais des brouillons de premiers jets liés entre eux. Dans l’idée qu’ils puissent ensuite trouver une forme close et terminée, que cela donne un livre qui soit papier, numérique ou web. »

Son atelier numérique est un véritable laboratoire d’essai.

Pour autant, les sites ne sont pas la version numérique exclusive de la fameuse « chambre d’écriture ». Avec le Web, l’atelier de l’écrivain est éclaté, disséminé sur différents espaces d’écriture. Il se retrouve ainsi de façon inattendue sur les réseaux sociaux. Certes, l’usage courant de Facebook et de Twitter prolonge souvent le travail promotionnel des écrivains. Mais certains d’entre eux ont su s’emparer de l’outil pour un travail créatif, parfois dans des cas que le lecteur ne soupçonnerait pas.

« Ricordi » de Christophe Grossi, publié à L’Atelier contemporain en octobre 2014, est né d’un travail d’écriture de dix ans qui a trouvé sa voie en 2011 grâce à Twitter.

« J’avais alors l’idée qu’écrire était écrire un roman. J’ai donc d’abord écrit un roman de 150 pages, “La fin des vertiges”, mais je ne me retrouvais pas dans cette forme. J’ai alors commencé à le désosser pendant trois ans pour ne garder que le squelette. Et en 2008, il ne me reste qu’une centaine de phrases qui me paraissent pertinentes. C’est en arrivant sur Internet, en ouvrant mon blog que j’ai compris que j’étais plus près de la prose poétique et des formes courtes. Twitter est un outil qui offre une contrainte d’écriture pour revoir chaque phrase au plus juste : 140 caractères, la forme idéale pour travailler à l’os le rythme, les sonorités et une structure plus ramassée. »

Fragments sur Twitter


Du 1er juillet 2011 au 5 juin 2012, Christophe Grossi publie sur le compte anonyme (@_ricordi) 480 fragments qui donnent à voir chaque jour la chair du texte. Ce compte est une sorte de manuscrit d’étape. Toujours ouvert, il permet au lecteur de comprendre le mouvement d’écriture qui a précédé leur publication. Car le fil de ces tweets n’est pas le livre. En comparant l’œuvre finale au compte, le lecteur prend la mesure du travail éditorial : remaniement et organisation des fragments, qualité du papier, mise en page poétique non numérotée et dessins de Daniel Schlier.

Mais la dispersion ne s’arrête pas là : l’atelier de Christophe Grossi est labyrinthique. Il remet en cause notre représentation du bureau d’écrivain comme espace clos et tenu, lieu fixe et unique. Les coulisses de « Ricordi » sont visibles sur Facebook : sous forme de feuilleton, la page dédiée présente les sons, images et vidéos qui ont nourri l’œuvre tout au long de son écriture.



Capture d’écran de la page Facebook « L’atelier des Ricordi » (Christophe Grossi)

L’auteur tient par ailleurs un site, Déboîtements, qu’il considère comme le « poumon » de son travail d’écrivain. Il y met en ligne « des carnets d’images et de sons, parallèles à l’écriture, grâce à tous ces outils numériques pratiques qui permettent d’être au plus près, sans être au présent, de ce que je ressens au moment où je suis dans le geste de création ».

Mais penser que le Web permet de tout voir du travail de l’écrivain, c’est tomber dans le fantasme de la transparence. Ces sites sont avant tout des espaces construits. En fonction de ses exigences et de ses attentes, l’auteur opère des choix : écrire directement en ligne, travailler le texte en amont, montrer ou pas les épreuves d’un livre en train de se faire...

L’atelier web de l’écrivain n’est donc pas la transposition directe et exacte de « la chambre d’écriture » et des carnets papier ou numériques de l’auteur. Chaque site suit donc sa propre logique interne. Parce que l’écrivain nous y attend, il effectue un tri. Pas question de découvrir des papiers traînant sur le bureau ou un manuscrit caché.

Lorsqu’on entre dans les différents espaces d’un atelier numérique, on y voit, selon les cas, des textes en cours, d’autres qui se reposent, ce qu’il y a dans la poubelle, plus ou moins vidée, mais aussi des boîtes fermées. Et ce que l’écrivain décide de rendre visible façonne, plus ou moins consciemment, son image d’auteur, celle qu’il entend laisser voir de lui-même. Les espaces numériques servent d’abord aux auteurs eux-mêmes qui déclarent trouver là un moyen d’écrire.

Le lecteur prend une part active


Cette pratique 2.0 de l’écriture donne un cadre pour rassembler ses travaux et un rythme qui permet de terminer une œuvre. C’est aussi une manière de lier son travail à d’autres pour intégrer un espace social d’écriture. L’atelier numérique, dans toutes ses dimensions web, est donc un objet à part entière qui donne finalement autant à faire qu’à voir.

Car le Net s’est transformé en atelier de littérature open space qui inclut chacun d’entre nous. Le lecteur a une part active dans la fabrication des œuvres : l’auteur met en ligne pour être lu et reçoit des commentaires et des échanges qui créent une vraie dynamique dans son travail. Mais là encore le numérique va plus loin et bouscule les frontières : l’écart entre l’écrivain et le lecteur se réduit jusqu’à s’effacer. Sur le Web, nous pouvons même voir naître et grandir des écrivains.

Juliette Mézenc, auteure de livres imprimé et numériques, est devenue écrivain en « allant sur le Net, pour ne plus écrire dans son coin ». En décembre 2006, elle ouvre son premier atelier numérique, un blog à son nom.

« Il s’agit d’une rencontre entre mon écriture et le Net. Le travail sur le blog se prêtait à une forme qui me correspond tout à fait : la série, tout comme les feuilletons publiés dans les journaux du 19ème siècle. J’y mettais en ligne des billets de type journal, des notes d’écriture et de réflexion. Puis j’ai commencé à publier au fur et à mesure tous les textes d’un projet de livre nommé Sujets Sensibles. »

Son blog nous fait alors entrer dans son quotidien d’auteure puisqu’elle y ajoute tous ses commentaires et ses questionnements sur ses écrits en cours. On suit pas à pas ce travail d’écriture, remarqué par François Bon qui décide de le publier.



Capture d’écran du manuscrit en ligne de « Sujets sensibles » (Juliette Mézenc)

Nous accédons alors aux coulisses du travail éditorial. Le manuscrit, traditionnellement chasse gardée de l’éditeur, apparaît sur nos écrans en temps réel grâce à la mise en ligne des extraits du manuscrit en cours de correction. En décembre 2010, quatre ans après l’ouverture de son blog, l’écrivain prévient dans un billet : « Ça déménage (nouveau site), les cartons sont (presque tous) arrivés à destination. » Ce sera cette fois un site, Mot maquis.

La version originale n’est plus visible actuellement car, suivant son rythme quadriennal, l’atelier numérique de Juliette Mézenc a fait peau neuve en automne dernier. La dynamique de son atelier et donc de son écriture est là : la porosité, une écriture entre les genres.

« Sur mon site, ce sont essentiellement des textes mais des textes qui sont de plus en plus irrigués par des images, des vidéos et des matériaux qui viennent du Net. »

Dans l’atelier de Juliette Mézenc, les textes sont « des organismes vivants dont les formes communiquent entre elles ». Les textes d’« Elles en chambre », parus sous forme de feuilleton sur le site des éditions D-Fiction, ont donné naissance à un livre papier publié aux Editions de l’Attente en novembre 2014.

Cet atelier, dans ses migrations et transformations numériques, nous donne à voir comment l’auteure évolue dans son travail d’écriture. Ainsi, le projet du « Journal du brise-lames », qui consiste à « faire de cette île de béton reliée à la ville de Sète un personnage », est né sur le blog et se déploie aujourd’hui sur la deuxième version de Mot Maquis en projet transmedia.

Il fait l’objet de publications, de performances et d’exposition mais connaît aussi une existence sous forme de jeu vidéo littéraire dont la première création s’intitule « Nous sommes tous des presqu’îles ».



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Histoire et politiques scolaires


La question de l'orthographe à l'université, une nouveauté?

30 décembre 2014 |  MEDIAPART

Et même une urgence, si l'on en juge par le titre d'un article qui vient de paraître en pleines vacances de Noël dans le « Figaro» : « L'orthographe préoccupe les universités »

Et pourtant, il n'y a pas si longtemps, le premier lundi d'octobre 2010, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a déjà appelé de façon martiale à la mobilisation :

« Nous avons lancé la bataille de l'orthographe » déclarait-elle alors alors en réagissant à un article paru ce même lundi d'octobre 2010 dans le quotidien « Le Parisien » ( « Les facs s’attaquent aux fautes d’orthographe. C’est un constat unanime : trop d’étudiants sont fâchés avec l’orthographe et, plus globalement, avec le français. Une vingtaine d’universités proposent désormais des cours de rattrapage » ). Et Valérie Pécresse renchérissait en déclarant que « les universitaires font le constat que le niveau d’orthographe et d’expression écrite a singulièrement baissé depuis une dizaine d’années, alors que c’est une clé pour des études et une insertion professionnelle réussies ».

Etait-ce une première ? Pas si sûr. Sans remonter très loin , on peut déjà constater que « la bataille de l’orthographe à l’université » avait déjà été annoncée un an avant, au même moment de la rentrée universitaire, par le même journal « Le Parisien » : « Les étudiants vont devoir renouer avec la dictée. Des milliers d’élèves de différents campus bénéficient cette année de cours d’orthographe. Une nécessité car les recruteurs apprécient peu les fautes des diplômés » ( 28 septembre 2009 ).

Sans doute dans un autre contexte ( vraisemblablement moins en proie au délitement, et surtout moins ‘’massif’’ : à peine 1% d’une classe d’âge faisait alors des études supérieures ), le ‘’ niveau ‘’en orthographe ( et plus généralement en français ) des étudiants a été depuis très longtemps et régulièrement stigmatisé.


« Nous voudrions simplement rappeler aux candidats que la faculté désirerait ne plus avoir à corriger des fautes d’orthographe aussi nombreuses que stupéfiantes » ( Gaffarel, doyen de la faculté des lettres de Clermont, 1881 ).


« J’estime que les trois quarts des bacheliers ne savent pas l’orthographe » ( Victor Bérard, maître de conférences à la Sorbonne, 1899 ).


« Les élèves des lycées n’ont ni orthographe, ni vocabulaire exact et varié, ni connaissances grammaticales » ( Paul Lemonnier, « La crise de la culture littéraire », 1929 ).


« La décadence est réelle, elle n’est pas une chimère : il est banal de trouver vingt fautes d’orthographe dans une même dissertation littéraire de classes terminales. Le désarroi de l’école ne date réellement que de la IV° République » ( Noël Deska, « Un gachis qui défie les réformes : l’enseignement secondaire », 1956 ).

Et si l’on veut vraiment ‘’une première’’, on peut s’arrêter à celle-ci, dans le ‘’saint du saint’’, à la Faculté des Lettres de la Sorbonne :
« L’orthographe des étudiants en lettres est devenue si défectueuse que la Sorbonne s’est vue réduite à demander la création d’une nouvelle maîtrise de conférences, dont le titulaire aurait pour principale préoccupation de corriger les devoirs de français des étudiants de la faculté des lettres » ( Albert Duruy, « L’instruction publique et la démocratie », 1886).


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mardi 30 décembre 2014

L’orthographe préoccupe les universités

L’orthographe préoccupe les universités

Le Figaro Etudiant   le 26/12/2014


                                     
Ouverts à tous, les cours de rattrapage sont gratuits et disponibles selon plusieurs formules proposées aux étudiants en fonction de leurs besoins. -
Plusieurs établissements se mobilisent pour améliorer le mauvais niveau de français de leurs étudiants. C’est le nouveau cheval de bataille des universités françaises. Depuis plusieurs années déjà, le constat s’impose: le niveau de langue des étudiants se dégrade. Le baccalauréat, obtenu par plus de 80 % d’une génération, n’est plus le garant d’un bon niveau de français, écrit comme oral, et les bacheliers accèdent aujourd’hui massivement à l’université malgré leurs lacunes. Des difficultés d’expression que les chargés de TD et maîtres de conférences observent maintenant à tous les niveaux et dans toutes les filières. Si les établissements d’enseignement supérieur - tous confondus - se sont longtemps reposés sur des organismes privés pour faire face à ce problème grandissant, plusieurs universités s’organisent aujourd’hui pour reprendre la main sur la plume de leurs étudiants.
En 2013, un test de niveau passé par plus de 700 étudiants en droit et en langues de l’université de Bourgogne révélait des difficultés importantes. «70 % des étudiants avaient un niveau inférieur au niveau requis» et présentaient des lacunes concernant des règles de base, que ce soit en «vocabulaire, en grammaire, en syntaxe ou en orthographe», analyse Stéphanie Grayot-Dirx, professeur de droit et vice-présidente en charge de la réussite en licence de l’établissement. Un résultat alarmant qui peut, selon elle, être étendu à l’ensemble de l’enseignement supérieur français. «Je suis passée par l’université Cergy-Pontoise et par l’université Paris-VIII, les chiffres sont les mêmes», assure-t-elle. Pour lutter contre cet état de fait, sous l’impulsion de sa vice-présidente, l’université a expérimenté l’année dernière un Centre des pratiques de l’écrit et de l’oral en français. Le lieu s’inspire des Writing Centers développés depuis plusieurs décennies déjà dans les universités nord-américaines. Le centre se veut «innovant», selon Stéphanie Grayot-Dirx, et ne «se concentre pas seulement sur l’orthographe. On y travaille le vocabulaire et la construction de l’argumentation.» Ouverts à tous, les cours sont gratuits et disponibles selon plusieurs formules proposées aux étudiants en fonction de leurs besoins. Les méthodes pédagogiques utilisées se veulent adaptées au public concerné. «L’enjeu est de faire progresser des adultes, explique Stéphanie Grayot-Dirx, pas de faire travailler nos étudiants sur des exercices que l’on donne à des élèves de collège.» Pour elle, le facteur déterminant de la réussite du programme est qu’il se fonde sur une logique de volontariat. Les étudiants doivent eux-mêmes prendre conscience de leurs difficultés et se présenter au centre. «Selon nous, la motivation des étudiants est un élément essentiel» de ces cours de rattrapage, explique la responsable.

Prise de conscience tardive

À l’université de Nanterre, depuis la rentrée 2014, les étudiants n’ont pas le choix. Pas moins de 7000 arrivants en première année de licence ont été, dès le début de leur cursus, obligés de suivre des cours en ligne pendant les douze semaines du premier semestre, à raison de trois heures par semaine. Un cours supplémentaire obligatoire sanctionné par un examen sous forme de questionnaire à choix multiples, qui permet d’obtenir un crédit et demi sur les trente nécessaires pour valider la première partie de son année. «Le module a été très long et très compliqué à faire, explique Sarah de Vogué, maître de conférences et cocréatrice du cours en ligne. On l’a créé à partir de toutes les erreurs de nos étudiants, minutieusement rassemblées pendant quatre ans.» À mi-parcours, un examen blanc effectué auprès de la moitié de l’effectif total a donné un aperçu du travail restant. «Cela donne une belle courbe de Gauss, analyse Sarah de Vogué. La moyenne des étudiants obtient la note de 10, et on compte autant d’étudiants en dessous et autant au-dessus.» Soit une majorité d’élèves qui connaissent des difficultés sur au moins une composante de la langue. Au second semestre, suivant les résultats du test final, les étudiants les plus gênés suivront des cours spéciaux. «On vise 14 groupes de 25, soit environ 350 étudiants», indique la responsable.
Ces deux exemples montrent l’importance accordée aujourd’hui à la problématique de la baisse du niveau de français des étudiants, qui mobilisent désormais chercheurs et professeurs dans tout le pays. Pourtant, la réaction a mis du temps à s’organiser. «L’émergence d’une prise de conscience des besoins en orthographe, et plus globalement des lacunes concernant tous les aspects de la langue écrite, de lexique et de vocabulaire, des étudiants est très récente», constate Françoise Boch, chercheuse à l’université Stendhal, à Grenoble. Le choc des consciences a eu lieu au début des années 2000. C’est à cette période que le domaine est devenu un «champ de recherche très actif», selon Fanny Rinck, maître de conférences dans un laboratoire de recherche linguistique à l’École supérieure du professorat et de l’éducation (Espé), également à Grenoble. «On pense clairement qu’il y a un lien étroit entre la réussite dans l’écriture et la réussite universitaire», assure-t-elle. Ils y seront encouragés par une réaction politique concrète, en 2007. Bien qu’ayant une visée bien plus large que les seuls cours de langue, le plan réussite en licence (Prel)«a permis aux universités d’engranger pas mal de fonds et de mettre en place de façon assez diverse des programmes», explique Françoise Boch.
Dijon et Nanterre, donc, mais également Grenoble, Cergy-Pontoise ou encore Créteil: autant d’établissements universitaires qui comptent désormais dans leurs rangs chercheurs et professeurs plongés sur la question. Aujourd’hui, et malgré le retard accumulé sur les initiatives nord-américaines, les besoins des étudiants sont connus. Reste désormais à unifier les initiatives pédagogiques pour les étendre au plus grand nombre. «On va vers une mutualisation des recherches, assure Françoise Boch, mais on manque cruellement de moyens sur le sujet. Il faudrait convaincre des pouvoirs publics de mettre des moyens sur cette problématique.»





INTERVIEW - Pour Danièle Manesse *, professeur émérite de sciences du langage, le mouvement de baisse a commencé à partir des années 1960.




LE FIGARO. - Le niveau en orthographe des jeunes Français baisse-t-il?
Danièle MANESSE. -Il a en effet baissé, mais pas pour tous, et il est faux de dire que tous les étudiants sont en difficulté. En vingt ans, entre 1989 et 2007, le niveau en orthographe des élèves français des classes allant du CM2 à la troisième a, en moyenne, fortement baissé. C’est un constat que nous avons fait en comparant les résultats que nous avions recueillis avec André Chervel (historien de l’éducation, NDLR) en 1989 avec ceux de 2007. La maîtrise de l’orthographe, de la grammaire et de la syntaxe est en baisse, comme le confirment nombre d’études.
Ya-t-il un moment de rupture?
La tendance remonte sans doute aux années 1960. Avec André Chervel, en 1989, on pensait qu’il y avait une montée constante de la qualité de l’orthographe depuisla fin du XIXe siècle. Mais on a pu estimer ensuite que le meilleur niveau a sans doute été atteint dans les années 1940. Après un palier, le mouvement de baisse a commencé à partir des années 1960.
« Ce n’est pas parce que l’on sait l’orthographe que l’on sait l’enseigner »
Danièle Manesse
Quelles peuvent être les causes du déclin de l’orthographe étudiant?
Elles sont multiples. Les étudiants aujourd’hui, ceux qui sont nés au début des années 1990, ont eu moins d’heures de cours de français, que ce soit en primaire ou au collège. C’est un fait avéré et incontestable. Deuxièmement, la façon dont on enseigne l’orthographe a changé. Il y a eu un discrédit d’un certain nombre de méthodes qui étaient en vigueur jusqu’aux années 1960, comme l’apprentissage par cœur, les nombreux entraînements et les dictées très fréquentes. Évidemment, on sait que ces méthodes n’étaient pas toujours efficaces, mais elles n’ont pas été remplacées par des propositions alternatives aujourd’hui.
Enfin, il y a un gros problème de formation des professeurs. On n’apprend plus aux jeunes maîtres comment enseigner l’orthographe. Ce n’est pas parce que l’on sait l’orthographe que l’on sait l’enseigner.
Quelle est la part de responsabilité de l’écriture SMS, selon vous?
Il n’y a pas de recherches sur les conséquences de l’écriture type SMS. On a toujours écrit avec des codes parallèles, comme l’écriture abrégée ou symbolique. Effectivement, les étudiants écrivent aujourd’hui beaucoup de SMS, mais ils savent faire la distinction entre cette façon de communiquer et la rédaction d’une copie. Je pense que l’on se trompe lorsque l’on pointe les SMS. Le problème et les enjeux se situent ailleurs.
* Coauteur d’Orthographe:  à qui la faute? en 2007


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mardi 9 décembre 2014

Un peu de poésie, proposée par Marie des Neiges

Alfred de Musset, Premières poésies                        
Chant deuxième


Qu'est-ce que l'amour ?
L'échange de deux fantaisies
Et le contact de deux épidermes
Chamfort

 
I
Eh bien ! en vérité, les sots auront beau dire,
Quand on n'a pas d'argent, c'est amusant d'écrire.
Si c'est un passe-temps pour se désennuyer,
Il vaut bien la bouillotte ; et, si c'est un métier,
Peut-être qu'après tout ce n'en est pas un pire
Que fille entretenue, avocat ou portier

II
J'aime surtout les vers, cette langue immortelle.
C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas
Mais je l'aime à la rage. Elle a cela pour elle
Que les sots d'aucun temps n'en ont pu faire cas,
Qu'elle nous vient de Dieu, — qu'elle est limpide et belle,
Que le monde l'entend, et ne la parle pas.

III
Eh bien ! Sachez-le donc, vous qui voulez sans cesse
Mettre votre scalpel dans un couteau de bois
Vous qui cherchez l'auteur à de certains endroits,
Comme un amant heureux cherche, dans son ivresse
Sur un billet d'amour les pleurs de sa maîtresse,
Et rêve, en le lisant, au doux son de sa voix.

IV
Sachez-le, — c'est le cœur qui parle et qui soupire
Lorsque la main écrit, — c'est le cœur qui se fond ;
C'est le cœur qui s'étend, se découvre et respire
Comme un gai pèlerin sur le sommet d'un mont
Et puissiez-vous trouver, quand vous en voudrez rire
À dépecer nos vers le plaisir qu'ils nous font !

V
Qu'importe leur valeur ? La muse est toujours belle,
Même pour l'insensé, même pour l'impuissant ;
Car sa beauté pour nous, c'est notre amour pour elle.
Mordez et croassez, corbeaux, battez de l'aile ;
Le poète est au ciel, et lorsqu'en vous poussant
Il vous y fait monter, c'est qu'il en redescend...



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