mercredi 31 août 2016

Réforme du collège : voyage en absurdie

Les enseignants s'arrachent les cheveux face aux nouvelles directives. Même les formateurs et les inspecteurs semblent n'y rien comprendre.

  Publié le | Le Point.fr
« Et si #college2016 était un vaste complot ? » signe LeChat, le pseudo d’un professeur sur Twitter.
« Et si #college2016 était un vaste complot ? » signe LeChat, le pseudo d’un professeur sur Twitter. © AFP/ GERARD JULIEN

C'était il y a quelques mois. Comme dans les 7 100 collèges de toute la France, Marie Lamfroy a suivi une des journées de formation destinées à expliquer aux professeurs la réforme du collège : chaque prof doit obligatoirement suivre huit journées de formation, dont trois réservées au numérique. Cette jeune mère d'un petit garçon de deux ans, qui a toujours voulu enseigner, n'est pas une novice. Professeur de lettres modernes dans la banlieue de Lyon, à Feyzin, cela fait sept ans qu'elle applique les directives du ministère. Elle a toujours fait avec. La réforme du collège, elle n'y était pas opposée par principe. Mais après ces journées de formation, elle a compris que son métier ne serait plus comme avant… et qu'elle allait s'arracher les cheveux. Elle ne s'en est toujours pas remise.
Ce jour-là, pour présenter la réforme, trois inspecteurs, une chef d'établissement et un envoyé du rectorat étaient sur l'estrade. C'est ce dernier qui a pris la parole. Et a commencé par flatter l'auditoire avec cette phrase : « Vous êtes des ingénieurs, des bac + 5. » « Il a ensuite tenté de démontrer que cette réforme n'avait absolument pas pour but de faire des économies. Tout en nous expliquant que les mesures idéales ne pouvaient être prises, faute d'argent », se souvient Marie. Une des inspectrices a pris le relais : « Elle était extrêmement agressive, elle nous réprimandait dès qu'on posait des questions, en répondant à coups de virevoltes rhétoriques. » Jusqu'à l'absurde : « Ce n'est pas à nous de vous armer pour appliquer la réforme, nous ne sommes là que pour vous donner des clés ! »

« Gargantua, Emma Bovary... mangent-ils équilibré ? »

Le plus surprenant restait à venir, avec l'explication des EPI, ces enseignements pratiques interdisciplinaires destinés à croiser des cours qui n'ont a priori rien en commun. Et les formateurs de suggérer que deux enseignants, l'un de sciences de la vie et de la terre (SVT) et l'autre de lettres modernes par exemple, pourront l'an prochain se retrouver à travailler ensemble autour d'un sujet commun : « Gargantua, Emma Bovary… mangent-ils équilibré ? » (sic). À l'énoncé de cet exemple érigé en modèle, Marie et tous ses voisins ont été stupéfaits. L'une des inspectrices a poursuivi la présentation du PowerPoint : « Vous pourriez mettre en place un exercice de réécriture de menu mangé par Gargantua, façon bio… » À la lecture du document rétroprojeté, il apparaissait clairement que les deux enseignantes de français et de SVT qui avaient rédigé ce sujet n'avaient pas réussi à se mettre d'accord, puisqu'une autre problématique sur « les enjeux de l'alimentation » était également notée. Deux titres étaient même suggérés : « Je me nourris, tu te nourris, il se nourrit » ou « Faut-il manger végétarien à la cantine ou pas ? ».
Marie était consternée : « Je n'ai pas su comment réagir : au-delà de la syntaxe douteuse, c'était tellement creux sur un plan littéraire… » Puis le débat a repris, le PowerPoint ne déterminant pas s'il fallait proposer cet EPI « SVT-français » en quatrième ou en troisième. Marie a alors osé une question : « Comment trouver un lien entre les thèmes d'EPI et le programme des deux disciplines ? » Pour une fois, les intervenants du jour étaient d'accord : « Vous êtes censés prendre vos distances avec les programmes. Avec la réforme, vous n'êtes plus leurs esclaves ! »

« Vous n'avez qu'à changer de métier ! »

Dans la salle, certains étaient bouche bée, d'autres atterrés, la plupart n'écoutaient plus du tout. Quelques professeurs vociféraient. Les formateurs ont continué leur exposé, en parlant du cadre horaire : « Sur deux périodes de deux heures par semaine, dont certaines en co-animation… » Le chef d'établissement juché sur l'estrade a interrompu ses collègues : « Cette co-animation prendrait beaucoup trop d'heures sur la répartition globale, c'est inenvisageable ! » À la fin des trois jours de formation, Marie s'est étonnée de ne toujours pas avoir de précisions sur la mise en place de la réforme. Réponse de la formatrice : « Si cela ne vous plaît pas, vous n'avez qu'à changer de métier ! »
Didier Jodin, 50 ans, est prof de lettres classiques dans l'académie de Strasbourg. Il en a vu passer, des réformes. Mais il est aujourd'hui excédé. « Il y a un côté sectaire dans ces formations. On est tenu d'y croire, comme à une divinité. Ceux qui mordent à l'hameçon et y croient ont une rhétorique simple : il y a des choses qui ne marchent pas actuellement, donc la réforme est bonne. Quel sophisme ! »
Agnès, professeur d'anglais à Paris dans le 18e arrondissement, se souvient de sa – pénible – première journée de formation : « On nous a parlé comme à des abrutis. On n'a pas attendu qu'on nous dise de bosser avec les collègues pour le faire ! Mais dans le cadre défini par la réforme, c'est infaisable. Lorsque j'ai demandé à l'inspectrice quand nous étions censés nous organiser, elle m'a répondu : Pendant la récré, en salle des profs, vous n'avez qu'à marcher avec vos collègues vers la machine à café pour discuter de l'EPI ! C'était totalement infantilisant. » Sans compter les intimidations. À la pause, l'inspectrice en avait assez des interrogations de la consciencieuse Agnès et lui a lancé : « Je peux vous demander votre nom et celui de votre collège ? » Réponse d'Agnès : « Mais, oui, allez dire à mon inspectrice que je pose des questions, j'assume pleinement ! »

« Hashtag Désillusion »

Certains profs ont imaginé des stratagèmes pour attirer l'attention sur leur désarroi : l'un a conçu un calendrier avec des profs déguisés en divinités grecques, un autre s'est mis en vente sur Le Bon Coin. Ils ont été convoqués par leur rectorat. Quant à ceux qui refusent d'aller en formation pour aller faire cours à leurs élèves, ils sont considérés comme grévistes.
La journée de formation de Stéphanie, une professeur de latin, à Paris, dans le 18e arrondissement, n'a rien eu à envier à celles de ses collègues. À l'entrée de la salle, un syndicat d'inspecteurs tractait contre la réforme. Le bavardage du public ne couvrait pas totalement la voix des formatrices qui scandaient des sentences édifiantes – « Il faut faire lire les élèves » –, tout en tentant de projeter un PowerPoint… qu'elles n'ont jamais réussi à ouvrir. L'après-midi, la salle s'était vidée de moitié. La deuxième journée de formation a été reportée sine die la veille… et n'a toujours pas à ce jour été reconduite, plus d'un mois et demi plus tard. Mais ce qui inquiète surtout cette professeur de lettres classiques, c'est moins ces cours communs avec des collègues que le contenu des programmes. « Nous étions censés recevoir les nouveaux programmes il y a quatre mois. Mais nous n'avons toujours aucune nouvelle. » Et Stéphanie de résumer la situation dans le langage de ses élèves : « Hashtag Déprime. Hashtag Désillusion. »
« Et si #college2016 était un vaste complot ? » signe LeChat, le pseudo d'un professeur sur Twitter. Depuis des mois, les profs de collège se lâchent, hurlent leur désarroi et jettent leurs dernières billes. Ils ont eu beau lutter contre cette réforme du collège qu'ils renient, qu'ils honnissent, l'heure est à sa mise en place. Fini les débats sur son contenu : le ministère l'a imposée, il va falloir l'appliquer. Pourtant, malgré les formations destinées à la mettre en place, les critiques continuent.

Une « aide personnalisée » en... classe entière

Il y a d'abord ces nouveaux programmes. On parlera désormais de « notions » à étudier par cycle de trois ans d'étude et d'« axes » par niveau… Pour Didier Jodin, la mise à l'écart de la culture est actée : « On a des indications de corpus qui donnent des repères, qui s'accrochent de manière artificielle à des thèmes qui n'ont aucun sens. Comme  en cinquième : Se chercher, se construire ou encore Le voyage et l'aventure : pourquoi aller vers l'inconnu ? » Les manuels vont devoir être modifiés et préparés dans l'urgence. Nombreux sont les enseignants qui voient dans la synchronisation de la refonte des programmes et de la réforme un moyen pour « alléger les programmes » et « niveler par le bas ». Une crainte qui prend corps en langues, des disciplines dans lesquelles les inspecteurs recommandent désormais de « passer par le français », alors que jusqu'à présent il était interdit de prononcer un mot dans la langue de Molière en classe, pour favoriser le « bain de langue ».
Et que dire de l'« accompagnement personnalisé » ou AP, une autre innovation de la réforme. Fini les petits groupes : désormais, l'aide personnalisée se fera… en classe entière. Dans les formations, cette nouveauté est justifiée de la manière suivante : « Peu importe le nombre d'élèves, si on passe d'une posture de face-à-face à une posture de côte-à-côte »… « Dans mon collège, raconte Marie Lamfroy, on avait réussi à faire de l'AP en demi-classe, voire par groupe de huit ou neuf pour ceux qui étaient le plus en difficulté. Maintenant, la réforme l'impose en classe entière, et on doit l'intégrer aux heures de discipline, alors qu'elle était dissociée de l'enseignement de la matière jusque-là. En somme, il faudra choisir entre un cours de français et un cours de méthodologie ! »
Le désarroi des profs de collège est profond. « Plus ça va, et plus je me dis que ce n'était pas cela, le métier que je voulais faire », se désespère Sophie, enseignante d'histoire en réseau d'éducation prioritaire. J'imaginais qu'il y avait une forme d'exigence intellectuelle dans la transmission. Lorsqu'on voit l'exemple de Gargantua et de Madame Bovary, on se rend compte qu'il n'est jamais question de littérature. En première et en terminale, très peu d'élèves ont lu les œuvres au programme. Mais ils s'en fichent, ils ont lu les noms des personnages sur Internet ! » Il n'y a plus qu'à espérer que Gargantua et Emma Bovary ne soient pas sur Facebook.
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vendredi 26 août 2016

Mort il y a 100 ans, Emile Verhaeren, esprit européen avant la lettre

afp, le 26/08/2016 LA CROIX


Une femme regarde un portrait d'Emile Verhaeren par l'artiste belge Constant Montald, au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Une femme regarde un portrait d'Emile Verhaeren par l'artiste belge Constant Montald, au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Cent ans après sa mort tragique, le poète belge Emile Verhaeren, figure au coeur du foisonnement littéraire et artistique de l'époque en Europe, incarne l'esprit européen avant la lettre.
Mais cet idéal d'européanité s'est fracassé contre la Grande Guerre de 1914-18, comme en témoigne la rupture de sa longue amitié avec son jeune admirateur et traducteur autrichien, Stefan Zweig (1881-1942), qui représentait le monde germanique.
"Verhaeren et ses amis allemands caressaient l'utopie d'une Europe réconciliée, dominée par les deux civilisations jugées supérieures de la France et de l'Allemagne, deux cultures très bien incarnées par la Belgique", explique à l'AFP Fabrice Van de Kerckhove, attaché scientifique aux Archives et Musée de la littérature de la Communauté française de Belgique.
Le rêve européen de l'écrivain belge est le thème d'une riche exposition - intitulée "Un poète pour l'Europe" - au Musée Emile Verhaeren à Sint-Amands (Saint-Amand), son pittoresque bourg natal en Flandre, près d'Anvers. Sa tombe de granit noir y surplombe une majestueuse courbe de l'Escaut.
Longtemps récité dans les écoles ("Le Vent", "Le Passeur d'Eau"), Emile Verhaeren (1855-1916) a quelque peu perdu de sa renommée, du moins hors de Belgique.
Buste d'Emile Verhaeren par le sculpteur français Ossip Zadkine au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Buste d'Emile Verhaeren par le sculpteur français Ossip Zadkine au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Chantre de l'industrialisation, des "villes tentaculaires" et du monde ouvrier, proche des idées anarchistes, au style lyrique, il fut en son temps une institution, un monument. On a portraituré ses grandes moustaches, son noeud papillon rouge et son veston vermillon.
Flamand d'expression francophone, il aurait d'ailleurs pu se voir attribuer le prix Nobel de littérature en 1911 - décerné à son compatriote Maurice Maeterlinck - puis à nouveau en 1915, mais là c'est le pacifiste Romain Rolland qui l'obtient.
- Idéal européen -
Verhaeren a chanté le Vieux continent dans plusieurs poèmes, en particulier dans "L'Europe" (1906):
"Devant le masque cru des féroces idoles / Elle apporte soudain de nouvelles paroles / Elle déplie en des âmes mornes encor / L'aile obscure qui soutiendra leur prime essor / Et sur des fronts étroits et durs que rapetisse / L'esclavage, la peur, l'effroi, la cruauté, / Sa main fait lentement, mais sûrement flotter / Quelque rêve futur qui serait la justice".
Ailleurs, il écrit que "L'Europe est une forge où se frappe l'idée".
Mémorial à Emile Verhaeren au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Mémorial à Emile Verhaeren au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
"Imaginer de nouvelles idées, créer un nouveau monde, là était à ses yeux la mission de l'Europe. Qui oserait mettre en doute aujourd'hui, dans les tempêtes qui menacent l'Europe, l'actualité de son message?", plaident Rik Hemmerijckx, le conservateur du musée, et Vic Nachtergaele, professeur de littérature romane, dans le catalogue de l'exposition.
"Par dessus la terre de ses pères, son amour allait vers l'Europe, vers le monde entier, plus que le passé il aimait l'avenir", a loué Stefan Zweig, le biographe de Verhaeren.
Mémorial à Emile Verhaeren au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Mémorial à Emile Verhaeren au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Pourtant, cet idéal européen va s'écrouler en août 1914, au moment de la déclaration de guerre et surtout quand se répand le bruit d'atrocités allemandes en Belgique.
"Verhaeren, d'Européen et de grand admirateur de l'Allemagne, va se transformer en pourfendeur de la barbarie allemande", souligne Fabrice Van de Kerckhove, qui a édité la correspondance entre l'écrivain autrichien et Verhaeren.
Personnage entier, ce dernier ira jusqu'à reprendre certaines légendes de la propagande franco-britannique.
- Destins tragiques -
Ainsi, dans le poème "La Belgique sanglante" (1915), il raconte que l'on retrouvait dans les musettes des soldats allemands les pieds coupés d'enfants français ou belges à côté des dentelles prises sur les cadavres de jeunes femmes violées. "Ces accusations de +sadisme germain+ ont évidemment indigné ses anciens amis allemands et autrichiens, notamment Zweig", poursuit M. Van de Kerckhove.
"Les amis pacifistes de Verhaeren ont cherché les moindres indices d'un revirement, et Romain Rolland ne voulait pas y croire, mais l'entourage du poète était farouchement nationaliste et anti-allemand", observe-t-il.
Zweig sera même accusé d'avoir dérobé la correspondance amoureuse de Verhaeren.
La rupture est consommée, malgré les efforts de Romain Rolland et de l'écrivaine féministe suédoise Ellen Key. "Tous les Allemands ne sonnent pas comme ceux qui donnent le ton au chanson (sic)! Notre ami Stefan Zweig souffre cruellement de vos mots contre vos amis allemands. Vous, cher Verhaeren, saura distinguer entre l'Allemagne de Prusse et celle de Goethe", implore-Ellen Key. En vain.
Le poète belge ne verra pas la fin de la guerre. Il mourra à 61 ans dans un stupide accident en gare de Rouen, le 27 novembre 1916, au cours d'une tournée de conférences patriotiques.
"Pêcheurs" du peintre belge Anto Carte au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Stefan Zweig - dont un tout récent biopic au titre évocateur, "Adieu l'Europe", retrace les dernières années -, connaîtra lui aussi un destin tragique.
Moralement abattu par la nouvelle guerre qui dévaste l'Europe, il se suicide en 1942, avec son épouse, en laissant un livre-testament, "Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen", empreint de la nostalgie d'un "âge d'or" de l'Europe d'avant 1914.
"Un poète pour l’Europe", Musée Emile Verhaeren à Sint-Amands, jusqu’au 27 novembre.
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jeudi 25 août 2016

La mort de Michel Butor, l'homme qui avait modifié le roman français

La mort de Michel Butor, l'homme qui avait modifié le roman français
Michel Butor, en 1992. ((Selder/Sipa))

L'auteur de “la Modification avait 89 ans. Grande figure du Nouveau roman, il laisse derrière lui une oeuvre très diverse et inclassable.

 
Le romancier et écrivain Michel Butor est mort ce mercredi 24 août à Contamine-sur-Arve, en Haute-Savoie, selon «le Monde», qui a été contacté par sa famille. Le 14 septembre, il aurait eu 90 ans.
Butor est surtout connu pour ses trois premiers romans: «Passage de Milan», «l’Emploi du temps» et «la Modification», publiés en 1954 et 1957, qui lui ont valu d’être rattaché à l’école du Nouveau roman. Il était publié chez Minuit, éditeur de Samuel Beckett, Nathalie Sarraute et Alain Robbe-Grillet.
Il avait obtenu le prix Renaudot en 1957, pour «la Modification», l’histoire d’un voyage en train, célèbre pour sa narration à la deuxième personne du pluriel, ce «vous» qui projette le lecteur dans la peau du protagoniste. Cette consécration avait d'ailleurs suscité quelques inimitiés et jalousies dans le groupe.
Mais le Nouveau roman n’a jamais formé un groupe au sens habituel, comme le groupe surréaliste par exemple. C’était tout à fait différent. Les surréalistes se voyaient tous les jours, ils allaient même en vacances ensemble, nous pas du tout. Et nous ne défendions pas une vision de la vie. (…) Nous venions d’horizons différents.

Bon, nous avions quelques points communs. Nos livres surprenaient beaucoup les critiques qui ne savaient pas par quel bout les prendre. Et ils contenaient  de minutieuses descriptions d’objets quotidiens. Comme ces livres étaient publiés chez le même éditeur, on s’est mis à parler du Nouveau Roman.
Né en 1929 à Mons-en-Baroeul, dans le Nord, troisième enfant d'une famille de sept, Butor avait passé l'essentiel de sa jeunesse à Paris, dès 1929, avec une parenthèse pendant la drôle de guerre dans un collège de jésuites à Evreux. Après des études de philosophie à la Sorbonne, et la rédaction d'un mémoire sous la direction de Gaston Bachelard (sur «les Mathématiques et l'idée de nécessité»), il avait enseigné à l'étranger (Egypte, Salonique, Suisse) et mis à profit cette expérience pour écrire. Depuis, il avait également enseigné la littérature aux Etats-Unis et beaucoup voyagé, ce qui peut étonner puisque ses romans sont circonscrits à un lieu - un train dans «la Modification», un immeuble dans «Passage de Milan», une petite ville imaginaire dans «l’Emploi du temps».
Après son quatrième livre de fiction, «Degrés», où l'on retrouve son goût pour les contraintes formelles (trois narrateurs racontent une même heure de cours dans une classe de lycée), il avait abandonné la forme romanesque et s'était éloigné de ses anciens compagnons pour se consacrer à la poésie, à la critique, notamment la critique d’art - on lui doit de nombreux écrits sur la peinture, sur Rembrandt, Delacroix, Rothko ou Mondrian - et à des livres plus inclassables.
Butor était, de l’avis de ceux qui l’ont connu, un artiste érudit, curieux, insensible aux mondanités littéraires, capable de se passionner pour tout et n’importe quoi. Il avait déclaré au «Monde»:

J’espère avoir apporté quelques nouveautés. Mais je crois avoir apporté beaucoup plus de nouveauté après ma période romanesque que pendant cette même période. Si j’ai apporté quelque chose de nouveau, c’est que j’ai été entraîné par l’élan de nouveautés qui vient du fond des siècles.

BibliObs.com
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vendredi 19 août 2016

Pour une rentrée littéraire placée aussi sous le signe de la poésie !

Fin août - début septembre, ce sera la rentrée littéraire qui ne concerne hélas exclusivement que les romans et les essais. Pourquoi pas aussi une rentrée littéraire placée sous le signe de la poésie, du théâtre et de la philosophie ?


© Gilles Bizien © Gilles Bizien
 
  Fin Août- Début Septembre, ce sera la rentrée littéraire qui ne concerne hélas exclusivement que les romans et les essais. Pourquoi pas aussi une rentrée littéraire placée sous le signe de la Poésie, du Théâtre et de la Philosophie ? Editeurs, libraires, médias, bibliothèques, centres culturels, maisons de la poésie, pourquoi ne pas le faire  en accord avec l'association Le Printemps des Poètes et autres institutions culturelles ?


Pour signer la pétition : https://www.change.org/p/pour-une-rentr%C3%A9e-litt%C3%A9raire-plac%C3%A9e-aussi-sous-le-signe-de-la-po%C3%A9sie

Eric Dubois
Dernier livre en date: "Chaque pas est une séquence" ( Editions Unicité, 2016 )
Membre de l'Union des Poètes & Co.
Président de l'association Le Capital des Mots.
Responsable de la revue culturelle Le Capital des Mots.

Initiateur sur Facebook de Dis un poème !


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mercredi 27 juillet 2016

Les émoticones seront-ils les fossoyeurs du langage ?

Christophe Bys |L USINEDIGITAL
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Analyse A l'occasion des Napoléons, actuellement à Arles, une table ronde s'est interrogé sur le langage à l'heure des émoticones et des photos. Si la communication devient purement visuelle, l'écriture a-t-elle encore un avenir ? 

Les émoticones seront-ils les fossoyeurs du langage ?
Les émoticones seront-ils les fossoyeurs du langage ? © Pixabay
Énième version de la querelle entre les anciens et les modernes, voici venu le temps où les émoticones affrontent le langage classique. Aux adolescents les smileys et autres symboles sympa. Aux plus de 25 ans, les joies de la concordance des temps et de la ponctuation bien placée. Ou pour l'écrire autrement, émoticones, photos et autres symboles sont-ils en train de constituer un nouveau langage ? Ou faut-il y voir le signe d'un appauvrissement de la langue, d'une désaffection du sens ?

Pour Thu Trinh Bouvier, responsable Nnouveaux médias  à la direction de la communication de Vivendi et auteure de "Parlez-vous Pic Speech ?", rien de nouveau sur les portables. Depuis qu'il existe des adolescents, ceux-ci ont cherché à créer des nouveaux langages. Ceux d'aujourd'hui utilisent Snapchat et les émoticones.

De la relativité de la simplicité
C'est quasiment un signe distinctif, un rite de passage pour marquer qu'on fait partie de cette génération. "Snapchat est le meilleur exemple de la relativité de la simplicité. Pour un ado, c'est facile de l'utiliser. Pour un adulte, cela l'est beaucoup moins", s'amuse l'experte. Pas de risque d'être confondu avec son père ou sa mère, voire avec son oncle qui se croît encore jeune quand il écrit LOL à la fin d'un SMS.

A tel point qu'entre adolescents l'usage des émoticones et autres émojis obéissent à des règles plutôt strictes. Un message envoyé sans émoticones sera perçu comme dur, voire agressif. Ils ne se placent pas n'importe où. Il existe une syntaxe. Il faut le mettre à la fin du texte. Comme si de cette façon, l'expéditeur précisait son état d'esprit au moment de l'écriture.

Car, comme l'a rappelé la linguiste Jeanne Bordeau, présidente de l'institut de la qualité de l'expression, le langage écrit est profondément ambigu. Un même mot peut avoir plusieurs sens, a-t-elle rappelé, citant l'exemple du verbe descendre. On peut aussi bien dire je descends de Louis XIV, que descendre un escalier ou encore descendre son voisin.

Émoticones et ponctuation même combat ?
Opposer les mots aux émoticones serait pour elle erroné. Elle insiste sur le fait que les mots servent aussi à créér des images et que les Grecs en inventant la ponctuation ont introduit dans le texte (les mots) des signes qui n'en sont pas mots et qui pourtant aide à sa compréhension, voire sont, dans certains cas, primordiales à la bonne compréhension. Par une sorte de ruse de l'histoire, les jeunes accros aux émoticones perçoivent désormais l'usage de la ponctuation comme une forme d'agressivité. "Mettre un point ou des points de suspension dans un message peut être très mal perçu chez un adolescent", explique Thu Trinh Bouvier.

Les utilisateurs de plateformes de partage de photos l'ont bien compris. Pour eux, partager une émotion c'est d'abord partager une image pour exprimer un sentiment, une intention, a rappelé en substance Julie Pellet, responsable du développement d'Instagram, qui compte aujourd'hui 500 millions d'utilisateurs. Et de citer quelques chiffres qui en disent long sur la façon dont les images numériques sont devenues des modes de consommation : en moyenne le possesseur d'un smartphone prend 150 photos par mois. Le chiffre monte à 250 pour une jeune femme de moins de 25 ans.

Dites-le avec une photo
Selon elle, un signe ne trompe pas pour savoir si on a affaire ou non à un professionnel de ces nouveaux langages : le sens dans lequel il prend son smartphone pour faire une vidéo. Les générations Y et Z l'utilisent verticalement pour avoir une vidéo plein écran, quand les plus âgés le tourne à 180 degré pour filmer ou photographier de façon horizontale.

En partageant des photos, les utilisateurs de plateformes comme Instagram créent des communautés. "Sur Instagram on suit des gens qu'on ne connaît pas forcément, explique Julie Pellet, mais avec lesquels on partage un centre d'intérêt. Sur les plateformes de photo comme la notre, les gens cherchent des sources d'inspiration."

Ces nouveaux modes de langage ne seront sûrement pas éternels. D'abord parce que les adultes arrivent sur Snapchat. La campagne présidentielle américaine, mais aussi les grands médias des Etats-Unis investissent ce lieu où communiquent une clientèle qui les intéresse grandement. Pour Thu Trinh Bouvier, cela pourrait avoir des conséquences, car ces médias vont vouloir apporter leur mode de narration, leur langage. Gare à ne pas tuer la poule aux œufs d'or virtuels, car si les standards changent trop, la jeune génération pourrait déserter ces réseaux.

Les marques contre les ado ?
Julie Pellet travaile de son côté avec les marques pour qu'elles utilisent bien Instagram. Le réseau s'enorgueillit de compter 200 000 marques parmi ses abonnés. Elle apprend aux nouveaux venus comment ça marche, les usages et notamment le sens dans lequel on tourne les vidéos pour le réseau. Car il n'est pas question de calquer sur un tel réseau les outils développés pour d'autres. Cela risquerait d'être contre-productif.

Alors, dans ce monde d'images et de symboles, faut-il s'inquiéter d'un éventuel recul du langage ? Jeanne Bordeau ne le croît pas vraiment, même si elle note que ces nouveaux outils sont plus émotionnels. Pour expliquer un raisonnement, une idée un concept, rien ne vaut les bons vieux mots. L'image et le symbole, et cela peut être leur limite, sont souvent des outils de séduction, qui passent sous le radar de la Raison.

D'où la méfiance ancestrale pour l'image. La preuve ? Cet article aurait difficilement pû être dessiné et cela n'a pas à voir avec la très grande médiocrité de l'illustration que son auteur aurait pû faire.

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Raphaël, 24 ans, « plume » d’une intelligence artificielle

Le jeune salarié souffle des réponses à une intelligence artificielle supervisée par des humains, Jam.
Régulièrement, il le teste en lui posant des questions :
« Tu peux me rappeler de boire de l’eau à 3 heures du matin ? »
Lui et l’appli se parlent  :
« Yoooooooo
– En quoi puis-je t’aider Raphaël ?
– Tu peux me trouver un bar trop stylé ? »
Une conversation entre Raphaël et Jam
Une conversation entre Raphaël et Jam - Emilie Brouze/Rue89
 
Depuis trois mois, Raphaël Kammoun est la « plume » de Jam, ce qui consiste notamment à écrire des phrases et des morceaux de phrases pour aider l’intelligence artificielle et les humains qui s’activent derrière l’interface. Il arrive donc que les réponses de Jam le surprennent : ce sont ses propres mots.
« C’est assez rare de pouvoir parler à son propre produit. Il y a un côté Frankenstein rigolo. »
Le métier de Raphaël Kammoun, entre designer de texte et scénariste pour intelligence artificielle, n’a pas encore sa fiche Onisep. 20 Minutes, qui l’a interviewé, relève qu’outre-Atlantique, un poète, deux écrivains et un scénariste travaillent sur l’assistant virtuel de Microsoft (Cortana).
Ecrire pour des intelligences artificielles est en train de devenir le prochain job prometteur dans la Silicon Valley, prédit le Washington Post.

Le plus humain des robots

Jam, conçu pour aider les étudiants à trouver un boulot ou un resto, a été développé par une start-up parisienne qui revendique 70 000 utilisateurs et un message envoyé toutes les 15 secondes. Moyenne d’âge des salariés : 26 ans.
Derrière l’interface, il y a une sorte de flou savamment entretenu. 30% des requêtes sont automatisées, 20% impliquent uniquement une intervention humaine et, dans 50% des cas, la machine aide l’humain, détaillait il y a peu Marjolaine Grondin, à la tête d’HelloJam (Rue89 l’avait rencontrée). Raphaël Kammoun :
« Intelligence artificielle et humain sont mêlés. Moi je ne sais jamais vraiment avec qui je discute : même quand c’est l’humain qui répond, c’est l’intelligence artificielle qui suggère les messages à envoyer. »
Raphaël Kammoun à Paris, le 28 juin 2016
Raphaël Kammoun à Paris, le 28 juin 2016 - Emilie Brouze
 
Raphaël Kammoun réfléchit à des modèles de conversation (des sortes de scénarios) et rédige une partie des réponses de Jam. « Mon travail consiste à apprendre à des robots à être plus humains et à interagir avec des humains », résume-t-il.
Le travail du jeune salarié consiste aussi à définir la personnalité du service. « Il doit être le plus humain des robots et le plus attentionné des humains », débite Raphaël, qui parle de lui comme d’un pote. Cool et sympa mais pas pigeon, économe mais pas radin, détaché mais pas familier. Des éléments que les « backers », les humains écrivant les réponses qui ne peuvent pas être automatisées, doivent prendre en compte.
Si un utilisateur sous acide branche Jam sur Emmanuel Macron par exemple, sa réponse sera neutre : la créature est « apolitique ».

Monter un jour sa boîte

Le jeune salarié originaire de Besançon (Doubs), baskets rouges, T-shirt pandas et style capillaire coiffé-décoiffé, a obtenu en décembre 2014 un master finance et stratégie à Sciences-po Paris. Pas pour devenir banquier d’affaires mais pour, un jour, monter sa boîte (comme sa mère avocate, devenue autoentrepreneuse) : « Je voulais apprendre le business. » Plume à Jam est son premier CDI.

Travail au corps

  • Quand vous devez expliquer votre travail à votre famille ou en soirée, vous dites quoi  ?
Pour préparer le terrain, je dis d’abord que je travaille dans une start-up. Je suis plume pour un robot, pour une intelligence artificielle, qui s’appelle Jam. Mon job est de donner de la personnalité à un robot, de lui apprendre à parler. C’est comme créer un personnage qui interagit dans la vraie vie, avec des humains.
Pour préciser un peu, je dis que Jam aide les étudiants dans les galères de leur vie quotidienne, via une intelligence artificielle. Le format lui-même est compliqué à expliquer parce que ce n’est pas une application : les étudiants dialoguent avec Jam directement sur Facebook ou sur leur messagerie. L’idée, c’est que l’interface est la conversation elle-même et non pas un site ou une appli.
Jam peut aider un étudiant à trouver un bar, un cadeau ou un job... Avec Jam, tu n’es pas seul mais ce n’est pas un pigeon non plus. Il va tout faire pour t’aider mais tu peux pas non plus tout lui demander (faire tes devoirs à ta place, par exemple).
Capture de la page Linkedin de Raphaël Kammoun
Capture de la page Linkedin de Raphaël Kammoun
 
Pour Jam, je rédige des messages types ou des éléments de langage (des petits bouts de phrase : plein de manières de dire OK, par exemple : « c’est noté », « super », « pas de problème »...). Jam a un registre de langage détaché mais pas familier. Donc il faut trouver le juste milieu. Je fais aussi attention au rythme de mes phrases. Pour Jam, j’écris également des éléments de personnalité.
Que répondre à « est-ce que tu m’aimes ? » Ou « je suis triste en ce moment » ? « Comment on fait les bébés » ? Récemment, j’ai rédigé la réponse à une demande illégale. Quelque chose comme : « C’est complètement illégal, t’es malade, tu sais ce qu’on fait aux robots en prison ? »
Le reste du temps je me creuse la tête pour trouver des modèles de conversation qui fonctionnent : comment engager la conversation avec un utilisateur ? comment la continuer ? comment faire pour qu’elle paraisse naturelle ?
  • Et comment décrit-on votre métier dans le jargon du secteur  ? En mots-clefs sur LinkedIn  ?
Dans le secteur, je dis souvent que je suis plume mais je précise que ça se rapproche plutôt du boulot de « product manager » (chef de produit). C’est d’ailleurs ce qui est inscrit sur mon contrat.
Sur Linkedin, j’ai écrit Clippy, le nom de l’un des premiers bots : c’est le petit trombone de Word, qui se balade et aide l’utilisateur. Il avait des yeux, faisait des petits bruits en apparaissant. Enormément de gens le connaissent. L’analogie est marrante.
  • Vous produisez quoi, en fait, pour le bien de l’humanité  ?
On est là pour aider les étudiants dans leurs galères, dans les moments où ils se sentent seuls, que ce soit pour chercher un travail ou un job : on les rassure, on arrive à leur enlever une dose de stress. Ça peut paraître superficiel comme service mais il y a vraiment des gens qui nous remercient.
  • Comment êtes-vous arrivé là ?
J’ai toujours beaucoup aimé écrire. J’ai toujours aimé aider les gens à rédiger leur lettre de motivation, leur CV. J’ai fait des concours de nouvelles aussi. A côté de ça, j’ai toujours aimé la technologie.
Quand j’étais à Sciences-po, j’ai fait mon premier stage à Covoiturage.fr [qui se nomme désormais BlaBlaCar, ndlr], en 2011. A l’époque, je ne connaissais pas le monde du Web. Je m’étais rendu compte de l’importance du texte dans le numérique : la plupart des choses se lisent, sur Internet.
J’ai ensuite travaillé dans un magasin de jouets à Barcelone : j’écrivais les descriptions de jouets, je publiais des articles de blog, je me suis aussi occupé du référencement... Plus tard, j’ai fait des stages et travaillé pour App Gratis et Batch.com. Petit à petit, j’ai commencé à m’intéresser à l’interface, à l’expérience utilisateur.
Marjolaine Grondin [CEO de Jam] a été ma prof : elle animait un atelier de créativité entrepreneuriale à Sciences-po Paris. Un an ou deux ans plus tard, quand j’ai vu que sa start-up cherchait une plume, je l’ai recontactée. J’ai postulé et ils m’ont pris. J’ai commencé mon CDI le 29 mars 2016.
« Jam recrute » : capture d’écran du site de Jam
  • Vous vous imaginiez faire cela étant gamin  ?
J’ai toujours voulu travailler dans l’écriture. Gamin, j’ai voulu être journaliste puis bosser dans l’édition – cela m’a fait rêver jusqu’en terminale. Je pense que si plus jeune j’avais su que mon métier existait, ça m’aurait fait vraiment rêver.
C’est revenu à la mode, les bots, mais ça existe déjà depuis plus de vingt ans... Le meilleur exemple est le programme informatique Eliza.
  • Ce boulot vous plaît ?
Oui.
  • Qu’y a-t-il de plus intéressant dans votre travail  ?
Le plus intéressant, c’est de réfléchir aux manières d’interagir, aux formulations permettant d’avoir une conversation naturelle avec un robot, sans pour autant se faire passer pour ce qu’on est pas.
Ça m’oblige à me poser plein de questions sur le choix des mots ou la conversation dans son ensemble – qu’est-ce qui fait qu’une conversation à l’air naturelle ? comment ça s’enchaîne ?
Je demande souvent à mes colocs ce qu’ils pensent d’une phrase. « Et si je te le dis comme ça ? » « Que penses-tu de “salut”, par rapport à “yo” ou “bonjour” ? » Mais je me retiens de ne pas trop utiliser mes amis comme cobayes.
Par moment, ça devient très « méta » [comme s’il y avait une force supérieure] : je parle avec Jam et ce sont mes propres formulations qui apparaissent – ce qui surprend.
  • Même si ça ne fait que trois mois que vous travaillez pour Jam, qu’y a-t-il de plus pénible  ?
Par moment, c’est compliqué. Il faut faire des détours pour arriver à résoudre certains problèmes. Il fallait, par exemple, que je trouve un modèle de réponse à « comment trouver l’amour ? » J’ai cherché et j’arrivais à des trucs philosophiques... Parfois, il y a un blocage et on ne sait pas quoi dire.
Les questions philosophiques c’est marrant mais parfois ça touche à des conseils qu’un robot ne devrait pas donner. On ne peut pas se substituer à un ami.
  • Peux tu nous donner un exemple de difficulté ?
« Comment séduire ? » : beaucoup de gens posent la question. Au début, on avait répondu un truc cool : cultive-toi, essaie d’être toi-même, sors plus souvent... Tout ça dans le même message. Un jour j’ai compris que mon coloc, qui l’a reçu, était limite vexé que Jam lui donne cette check-list incroyable alors que c’est un bot. Là, on se sent un peu gêné.
Il faut également faire attention à ce que le robot ne se mêle pas de la vie privée des utilisateurs en étant intrusif dans ses questions ou relances.
Il n’y a pas tant de routine que ça dans mon travail. Parfois, il y a quinze réponses à faire et il faut réussir à trouver un truc intelligent et sympa pour chacune... C’est difficile. Et puis il faut coller à la personnalité de Jam qui est plutôt enjoué et cool alors qu’on n’a pas tout le temps la tête à ça. Il faut faire gaffe à ne pas mélanger son humeur à celle de Jam.
  • En vous regardant dans le miroir, vous vous dîtes quoi sur votre métier  ?
Tu passes trop de temps devant un écran. [Rires] Je crois que c’est un truc qui inquiète pas mal, dans le monde de la tech.
  • Qu’est-ce qui est différent par rapport à ce que vous aviez imaginé avant de commencer ?
J’avais une vision assez simpliste de comment Jam fonctionnait. Je me rends compte qu’on est souvent en exploration. Le travail ne consiste pas seulement à créer des réponses cools, c’est aussi bosser avec une intelligence artificielle, ce qui induit des contraintes intéressantes.
Capture d'un début de conversation avec Jam
Capture d’un début de conversation avec Jam
Dans la même journée, je peux lire des articles de sociologie et un blog sur le natural language processing (NLP). Je teste aussi les bots qui sortent. On regarde aussi les questions que les gens posent. Il y a un gros travail de veille à faire.
C’est impressionnant le nombre de choses qu’il y a à apprendre alors même qu’il y a très peu de repères dans ce domaine.
Je me nourris de plein de choses. Je lis de l’argot, je regarde des séries pour les dialogues et les punchlines... On m’a conseillé récemment de m’intéresser au théâtre. J’ai appris il n’y a pas longtemps que la RATP faisait des annonces en alexandrins... Pourquoi ne pas essayer nous aussi ?
  • A quoi ressemble votre poste de travail  ?
Je n’ai pas de poste de travail fixe. J’ai mon ordi pro, mon chargeur, mon casque et un carnet pour écrire. Le matin, j’arrive et je trouve une place en fonction de qui est là, de ce que j’ai à faire...
Au bureau, il y a une grande salle où l’on bosse, avec trois tables, et un espace salon avec des sofas, une télé et une Wii.
  • Parlez-moi de votre ordinateur et de votre téléphone.
J’ai un ordinateur pro et un téléphone perso. On utilise beaucoup Slack pour travailler, un outil de collaboration via lequel on communique. J’utilise aussi Treloo, une appli de gestion de projets, et GitHub pour le développement. J’ouvre parfois Ever notes pour prendre des notes et bien sûr Twitter. J’écoute de la musique sur Spotify, en travaillant.
Une bonne partie de mon travail est stockée en ligne, ce qui me permet de bosser depuis où je veux. Mes notifications sont réglées de manière à ce qu’elles ne soient pas trop intrusives.
  • Qui est autour de vous dans l’open space ?
On est dix-sept dans l’équipe, dont quatre personnes en « remote » (télétravail). Dans l’équipe produit, dont je fais partie, on est trois avec mon n+1 qui est « chief product officer » (chef de produit). La fondatrice, Marjolaine, bosse dans le même open space. La hiérarchie n’est pas rigide, j’aime bien.
Après il y a des data scientists, des gens qui bossent sur le business, et une soixantaine de « backers », les humains de Jam. Ils bossent généralement de chez eux et passent quand ils veulent. Il y a donc pas mal de va-et-vient au travail, c’est sympa.
  • Vos collègues sont vos amis  ?
Je m’entends très bien avec eux, on a des relations amicales. On se voit de temps en temps en dehors du boulot.
  • Vous flippez d’être remplacé par des robots ou des algorithmes  ?
J’hésite entre « j’espère » et « oui, je flippe à mort ». [Rires] Déjà, quelque soit la manière dont ça évolue, il y aura toujours des humains derrière les robots ou les algorithmes.
Il y a déjà des algorithmes ou des robots qui font ce que je fais. Il y a des robots qui génèrent des résumés de matchs, par exemple. La génération de texte, c’est déjà là... Peut-être qu’un jour je rédigerais moins et que je ferais plus de scénarios. Et quand les robots arriveront à faire des scénarios ? Il y a aura toujours une dimension de création qui ne sera jamais totalement déléguée à des robots.
Sur le portable de Raphaël, une conversation avec Jam
Sur le portable de Raphaël, une conversation avec Jam - Emilie Brouze/Rue89
Je dis que je flippe à mort parce qu’au fond, un robot qui s’exprime très bien et à tel point qu’on ne fait pas la différence avec un humain, c’est de la science fiction. Je serais curieux de voir ça.
  • On peut donc dire que votre travail est de tuer votre travail ?
[Rires] C’est un peu caricatural.
  • Pensez-vous faire votre travail toute votre vie  ?
Pas si je le tue [Rires]. S’il change tout le temps, que je continue à apprendre des choses, oui. Après, je pense qu’il évoluera forcément.
  • Quelle est la proportion de tâches à la con  ?
Je dirais entre 20% et 30%. On peut vouloir faire un truc qui nous parait simple mais qui n’est pas possible techniquement : on va donc devoir faire 15 000 détours pour y arriver. Il y a des tâches pas très drôles mais nécessaires, comme relire tous les messages pour voir si je n’ai pas oublié un « ç ». Mais sinon, s’il m’arrive de faire quelque chose d’absurde, je le dis.
  • Est-ce que ton travail est atteint par la réunionite ?
Non. On parle beaucoup mais ce n’est pas de la réunionite. La plupart des retours, on les a en direct sur Slack ou via la messagerie instantanée.
  • Est-ce que vous glandez au travail  ?
M’ennuyer non, glander oui. Je lis des articles, je regarde des vidéos, je me perds sur Internet via des liens obscurs... Twitter aussi est assez chronophage. Mais je crois qu’on a besoin de moments où on ne fait rien dans les jobs créatifs.
  • Avez-vous l’impression d’avoir le temps  ?
Non. On n’a jamais assez de temps. C’est un peu inhérent à ce qu’on fait, on se dit qu’on pourrait faire plus, mieux... C’est un arbitrage permanent.
  • Comment vous le gérez ? Comment vous le voyez ?
L’enjeu, c’est d’arriver à se concentrer sur quelque chose pendant plus d’une demi-heure ou une heure alors qu’on reçoit beaucoup de notifications et de sollicitations toute la journée.
Au travail, il nous arrive de mettre la capuche de notre sweat : ce qui veut dire tacitement « foutez-moi la paix ». C’est un truc de développeur. [Rires] Sinon on se met dans une autre pièce, avec les écouteurs sur les oreilles, et on dit aux autres « ne me pingez pas trop, sauf si c’est urgent ». Oui, on parle beaucoup avec des anglicismes de développeur [Rires].
  • Etes-vous fliqué par votre n+1 et comment  ?
Je suis fliqué par tout le monde sur une chose en particulier : quand Jam dit un truc chelou qu’on ne peut pas se permettre de lui laisser dire... Il faut être vigilant et c’est justement ma responsabilité. Pour le reste, non, il n’y a pas de flicage. Tout le monde s’implique sur tout.
  • Quels sont vos horaires de travail  ?
10 heures-20 heures, en général. Le matin, je dois arriver entre 9 heures et 10 heures. Le midi, on prend entre une et deux heures de pause ; 15 minutes quand on n’a pas le temps. Les horaires sont variables et on peut travailler de chez nous.
  • Votre chef vous tutoie ? C’est un bon chef ?
Oui. J’ai de bonnes relations avec mes chefs.
  • Quels sont vos gestes répétitifs ?
Enlever une oreillette de mon casque pour parler à un collègue, changer d’onglet, ouvrir une appli, utiliser les raccourcis clavier.
  • Votre dernier e-mail pro, c’était quoi  ?
Un message de Slack : « Reset your password » (réinitialisez votre mot de passe). C’est assez représentatif de ma boîte e-mail : je l’utilise très peu.
Entre collègues, on s’échange des SMS quand on est en déplacement ou en rendez-vous, ou on s’appelle. Finalement, l’e-mail est le moyen de communication le plus lent.
  • Avez vous des consignes spéciales en termes de sécurité informatique  ?
Oui, des bonnes pratiques, comme sur les mots de passe par exemple. Je préfère d’ailleurs ne pas trop les détailler...
  • Quand est-ce que vous décrochez/coupez  ?
Quand je rentre le soir.
  • Il y a une séparation nette entre vie privée et vie professionnelle  ?
Oui, mais c’est à moi de la fixer. Il faut faire gaffe, car on est beaucoup sur notre portable. Il m’arrive de lire des articles en dehors du boulot et de les partager ensuite sur Slack.
  • Pensez-vous au travail pendant votre temps libre  ?
Oui, pas mal car cela m’intéresse. C’est un sujet marrant, j’en parle beaucoup aux gens. Ils sont généralement intrigués par ce que je fais.
  • Une « private joke » dans le boulot ?
On en a énormément.
Sur Slack, on a créé des bots pour se faire des blagues : on en a par exemple un qui génère des mèmes en fonction de ce qu’on dit.
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"Elle n'a pas fini de voir mon sourire"... Ils racontent leurs plus beaux moments passés sur la Prom'

Ce jeudi 14 juillet 2016, la Prom' a été meurtrie. Cette Prom si belle qu'on aime tant. Jeudi soir, tout a basculé. Tout s'est écroulé. Alors, pour sécher un peu nos larmes et réchauffer nos cœurs, nous publions ici vos magnifiques souvenirs de la promenade des Anglais. Merci !

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Sur la Prom'
Photo Franck Fernandes
"Tu représentes de si beaux moments dans ma vie"
Ma chère promenade des anglais. Non en fait, en tant que Niçoise, pour moi tu es la "Prom'". Tu n'es peut-être qu'une promenade mais pour moi tu représentes de si beaux moments dans ma vie.
C'est vers mes 5-6 ans que je suis tombée sur toi. Mon père m'apprenait à faire du vélo sans les roulettes. Je suis tombée ce jour-là, mais je me suis relevée.
Les samedis je faisais du vélo avec mon père et mon frère sur cette si belle Prom', un samedi c'était maison-port, et un autre samedi c'était maison aéroport.
Les mercredis après-midi, j'allais sur cette Prom' avec les amis... s'amuser, se baigner, se draguer... C'était top la Prom', c'était top la plage.
Les samedis soirs c'est avec toi qu'on finissait nos bières quand les pubs fermaient. C'était avec toi que je rentrais de l'école. C'était avec toi que je faisais du roller, que je tombais, mais que je me relevais toujours.
C'est avec toi que j'ai fait semblant que je me mettais au jogging.
C'est sur toi que je marchais pieds nus, car après avoir joué à la plage avec mon frère, mes chaussures partaient dans la mer. C'est pas grave, c'était chaud ton sol, j'habitais la rue derrière toi. J'aimais marcher pieds nus dans les rues de ma ville.
Le 14 juillet, c'était ce que j'attendais le plus, notre grand rendez-vous toutes les deux. La socca achetée, la famille allait sur la Prom', allait sur la plage, manger la socca, attendre le feu d'artifice. C'était magique, tous assis sur les galets, les yeux rivés au ciel, voir ces couleurs, voir ces palmiers, entendre ces booms.
Tu vas dire que je râlais toujours, mais que veux-tu, je ne voulais pas que ce moment s'arrête, j'aimais trop.
Hier soir, des niçois, une partie de moi est tombée sur toi, mais ne se sont pas relevés. J'ai mal, très mal, comme toi tu as mal.
C'est pourtant tellement simple les règles du jeu: s'aimer, savoir vivre ensemble, se respecter. Comme les devises de la BSN «Honneur, Fidélité».
Issa Nissa.
Sur ma peau gravée a tout jamais: Nissa la bella...
- Nina Jeanrat -


"Là où j'ai bercé ma fille lorsqu'elle était bébé"
La Promenade, là où j'ai appris à faire du vélo. Mon vélo était bleu, comme les chaises...
La Promenade, je la sillonnais tous les jours, très tôt, pour aller à pieds à la Fac de Lettres...
La Promenade, où l'on finissait souvent après des soirées entre copines pour prendre notre petit déjeuner...
La Promenade, j'y allais pour me ressourcer à chaque coup de blues...
La Promenade, où j'ai bercé ma fille lorsqu'elle était bébé...
- Emma Prudhomme-Asnar -


"Je l'aime"
Ma promenade des anglais, celle où j'ai fait mes premiers pas il y a de cela 55 ans, sous l'œil attentif de mon père et de sa camera... film que je regarde de temps en temps, où l'on voit des pointus amarrés en haut de la plage, les voitures de l'époque avec une circulation très fluide par rapport à celle de maintenant...
Promenade ou j'ai appris à faire du patin à roulettes et de la corde à sauter...
Les bains de mer le soir, à là fraîche, avec de bons pan bagnats partagés avec les gens du Vieux-Nice...
Ma promenade, où mes enfants aussi ont fait leurs premiers pas, premiers tours de vélo.
Ce lieu magique et introuvable ailleurs est une richesse pour la ville de Nice. Elle reste la destination de milliers de touristes. Mais malheureusement dans son histoire désormais un souvenir indélébile, ce sang versé ce 14-Juillet 2016 alors que tout n'aurait dû être qu'explosion de joie et où tout a basculé en explosion de cris. Où beaucoup de vies ont étés brisées à jamais.
Mais ma promenade des Anglais restera ma promenade et je l'aime


- Marie Jo Piazza Bruzzone -


(Photo Franck Fernandes)

"Elle nous fait vivre ensemble"
La Prom'... Celle qui a largement contribué à ce que l'on vienne poser nos valises à Nice il y a un an.
La Prom', on se l'approprie à notre façon, suivant nos envies, notre humeur.
La Prom', elle appartient à tout le monde, aux riches aux pauvres, aux jeunes, aux anciens, aux sportifs, aux artistes...
La Prom', elle change de visage suivant les jours, les heures, la météo... On a presque l'impression de la redécouvrir à chaque fois.
Mais le plus beau de la Prom' c'est.... ses femmes, ses hommes, ses blacks, ses blancs, ses beurs, ses gosses, ses vieux, ses vacanciers, ce sont les siens... Et elle les fait vivre ensemble, le plus souvent dans la joie, l'amour, la sérénité, la liberté...
Elle a été attaquée, laminée. Nombreux des siens y ont perdu la vie, mais sa force aussi grande que sa beauté nous fera regagner la confiance que nous lui accordons sans jamais oublier...
- Axel Paul Thevenet -


"Je la connais depuis que je suis née"
La promenade des Anglais, je la connais depuis que je suis née. J'y ai vécu pleins de bons moments, comme faire du roller et de la trottinette tout les week-end quand j'étais petite avec mes parents et ma sœur. J'y ai aussi passé mes premiers moments avec mon homme. J'y ai rejoint des amies pour aller à la plage et profiter de ce beau soleil que nous offre notre ville. J'y passe souvent en bus ou en voiture et j'aime toujours autant regarder en direction de la mer.
J'aime ma ville et j'aime énormément la Promenade des Anglais.
- Mélanie Nissa -


"Allez voir ce rivage blanc"
Nice, trop petite naguère,
S'agrandit, libre de tout mur,
Ni port marchand, ni port de guerre,
Toute blanche au bord de l'azur.

Nice a pour orgueil d'être blanche
Dès que luit le soleil levant ;
Les vaisseaux vont à Villefranche
Qui veulent s'abriter du vent.

Son quai nouveau n'est que la plage.
Qu'importe un navire en danger ?
Pourvu que dans son vert feuillage
Blanchisse sa fleur d'oranger ;

Pourvu que le brick de plaisance,
Le brick élancé de mylord,
Lui du moins, tienne avec aisance
Dans le cadre étroit de son port

Qu'importe l'active pensée,
Et le travail aux mille bruits ?
Par le chant des vagues bercée,
Nice dort, pâle dans les nuits.

Au centre, son château se dresse,
Sur un verdoyant mamelon.
Nice est la cité de paresse,
Chaude oasis d'un frais vallon.

Les villas aux grilles dorées
Alentour bordent ses chemins.
Aloès, thyms et centaurées
S'y mêlent aux fleurs des jasmins.

Là viennent les gens à chloroses
Voir les violettes s'ouvrir ;
Au soleil, en de molles poses,
Les heureux viennent y mourir.

Les boyards, les Anglais, leurs femmes,
Jettent l'or pour voir son soleil,
Qui jette, lui, l'or de ses flammes
Dans le Paillon, ruisseau vermeil.

Monaco d'ailleurs est si proche !
La roulette est un jeu tentant,
Et l'on court y vider sa poche :
Montrer son or, c'est l'important.

Pour vous, amoureux et poètes,
Allez voir ce rivage blanc ;
Dans les chemins, les violettes
Répandent un parfum troublant.

Vous que rien de trop n'embarrasse,
Ô les vrais heureux, vous, la nuit,
Allez sur la longue terrasse
Solitaire, où la lune luit.

Elle s'étend sur les toits même
De plusieurs maisons de niveau,
Au bord des flots où la Nuit sème
Les fleurs de feu de son manteau.

La terrasse offre à tout le monde
L'accueil de ses grands escaliers ;
Ô rêveurs, race vagabonde,
Nice a des toits hospitaliers.

Là, sur la maison endormie,
Au murmure charmant des eaux,
Rêve l'ami près de l'amie,
Légers comme un couple d'oiseaux.

Là, derrière nous, s'endort Nice,
Et des collines d'alentour
Un vent embaumé vient, qui plisse
L'onde frissonnante d'amour.

Ô voyageurs, sur quelles grèves
Trouverez-vous un ciel pareil,
Durant la nuit si plein de rêves
Et le jour si plein de soleil ?

- Jean Aicard -

(Photo Frantz Bouton)

"Belle, elle restera"
LA PROMENADE? Arpentée à pieds le dimanche avec mes parents, puis à vélo, puis en ciao pour rejoindre le collège. Les escapades entre les cours avec les copines de classe, avec ma première voiture qui avait le même âge que moi, 18 ans, puis toutes celles qui ont suivi, pour un plaisir sans cesse renouvelé.
Les promenades, les essais à rollers (non renouvelés), les prom parties, Carnaval, batailles de fleurs, les feux d'aritifices et très bientôt mes loisirs de jeune retraitée.
Belle, elle restera, malgré les cicatrices.
- Patricia Sashanelle -


"Tu as vu naître mes deux derniers petits"
Belle promenade! Tu as vu naître mes deux derniers petits à l'hôpital Lenval et ce sont encore aujourd'hui des souvenirs extraordinaires de bonheur et de plénitude.
Que l'espérance soit plus forte que la barbarie!
- Audrey Despert Maniere -


"Un endroit où on s'embrasse"
C'est un endroit où on se prend la main, où l'on s'embrasse, où l'on se soutien.
On marche, on cours, on s'y promène pour aller de l'avant.
La belle et simple vie des Niçois!
C'est aussi un paysage qui nous offre une vue magnifique vers nos rêves les plus fou.
C'est cet état d'esprit qu'il faut garder.
C'est dans le deuil, mais dans l'espoir que la promenade des Anglais continue à nous accompagner vers ce chemin ensoleillé et à nous donner la force de se battre tous ensemble!
- Lisa Piromalli -


"Elle représente ma famille"
Elle représente mon enfance, elle représente ma famille.
C'est ici que j'aime retrouver mes amis, profiter de la merveilleuse vue qu'elle nous offre, pour parler, rire, étudier...
Elle représente de longues balades avec ma grand mère, à parler de la vie, de tout et de rien, assises devant l'horizon bleue, à profiter l'une de l'autre.
Elle représente la liberté et la joie, le bonheur et c'est toujours ainsi que je la verrais.
Je l'aime encore plus et j'aime encore plus ma ville, la mieu bèla Nissa
- Claire Toselli -



(Photo Cyril Dodergny)
"J'y ai appris l'amour"

Les mots m'ont jamais suffi, quand c'est Nice.
Elle était ma ville bleue où tout le monde vivait dans plein de joie et de bonheur sous le ciel ensoleillé.
J'ai passé à Nice l'année dernière dans le cadre de programme Erasmus.
Il n'existe pas un tel bord de la mer qui m'a rendu si heureuse.
J'y ai appris l'amour.
J'y ai appris comment exploser le bouchon de champagne.
J'y ai vécu le bonheur, la liberté et la joie.
Je vous assure que moi et mes amis se souviendront la Promenade avec les éclats de rire, pas avec les terroristes qui nous ont fait sangloter.

- Simay Turan -

"Elle n'a pas fini de voir mon sourire"
Depuis que je suis toute petite, la Prom' fait partie de ma vie.
Chaque été mon père nous emmenait tous les dimanches matins à la plage, et mes soeurs et moi nous jouions aux sirènes dans l'eau, nous essayions de faire des châteaux de galets, nous roulions dans les vagues, et nous passions des moments mémorables.
J'ai aussi rencontré l'amour plusieurs fois sur cette belle promenade des anglais. Il nous arrivait de faire des aller-retour sur la promenade, puis on s'asseyait au bord pour regarder la mer, je me collait contre lui et rien ne pouvait être plus beau que ce genre de moment.
La promenade a vu certaines de mes romances naître, elle a vu quelques premiers baisers, elle a vu mon sourire de nombreuses fois et n'a pas fini de le voir.
- Bérengère Larose -


Une belle gamelle sous les rires de demoiselles
Sur cette promenade parcourue en long, en large et en travers, à pieds, à vélo, en rollers, en trottinette, j'ai fait des pétanques à Carras, du Pilou à côté de la plage du Voilier, mangé un macdo sur la plage en face du Ruhl, et fait un beach volley au début du Quai des Etats-Unis.
Une énorme partie de ma vie s'est écrite sur cette rive magnifique, qui offre une vue que le monde entier nous envie...
J'ai décidé de partager un souvenir drôle car si je peux faire en faire sourire quelques un en cette triste période, j'en serais ravi. À l'époque je travaillais au restaurant municipal Corvesy à côté de la mairie. Vivant à Fabron dans les hauteurs de Nice Ouest, je prenais tous les jours le vélo bleu pour m'y rendre.
Un jour de Juillet, après que ma journée de travail fut terminée, je pris un vélo bleu pour rentrer chez moi. Il est 16h30 et je dépasse le Palais de la Méditerranée, roulant sur la piste cyclable avec ma musique dans les oreilles, lorsque j'aperçois un groupe de jeunes filles qui étaient toutes plus belles les unes que les autres...
À 20 ans, il s'en ait fallu de rien pour que toute mon attention se porte sur ces jeunes femmes qui profitaient du soleil assises sur les chaises bleues, laissant donc la route devant moi avec une absence totale d'attention. Seulement avec mes écouteurs, je n'ai pas entendu l'avertissement d'un employé de restaurant qui déplaçait un container, c'est donc logiquement que ma course s'est brutalement stoppée contre ce fameux container.
Le tout sans aucune gravité, je me suis relevé sous les rires des demoiselles que je regardais avec tant d'attention, avec l'aide de l'employé qui était vraiment gêné pour moi.
Je suis reparti avec mon vélo qui désormais, grinçait et avait du mal à avancer, ma tête rougie de honte qui s'efforçait de garder un air fier.
Embarrassant sur le coup, ce moment est devenu aujourd'hui, un souvenir drôle que j'aime me remémorer.
A Nissa Toujou Fedel.
- Chris Corda -
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mercredi 20 juillet 2016

La langue française, l’Europe et le Monde

La langue française, l’Europe et le Monde

Il fut un temps, le multilinguisme était présenté comme un élément essentiel de la construction européenne : chaque citoyen européen aurait le droit d'utiliser sa langue maternelle et chaque état membre la capacité aurait la capacité de préserver sa culture. La communication entre les citoyens et l’accès à l'information devaient devenir aussi faciles et simples que la circulation des marchandises dans l’espace européen.

Admirable projet. En effet, est-il acceptable d’assister à la disparition des langues et des cultures européennes sans agir ? C’est pourtant ce qui est en train de se passer malgré les annonces restées sans moyens et sans effets. Le multilinguisme représente un coût important. En conséquence, les langues minoritaires disparaissent progressivement au profit des langues majoritaires. Parmi les 6.500 langues qui existent dans le monde, on estime que la moitié d'entre elles auront disparu avant la fin du siècle. Beaucoup de langues européennes ont déjà disparu ou avaient presque disparu, mais ont été sauvées grâce à une volonté politique.
Comment peut-on traiter les 48 heures de vidéo qui sont téléchargés sur YouTube dans des centaines de langues chaque minute ? Comment peut-on nous assurer que les brevets européens sont accessibles aux entreprises qui utilisent des langues autres que l'anglais ? Comment peut-on donner la possibilité à un professeur d’enseigner à élèves qui ne parlent pas sa langue ? Comment peut-on empêcher la langue de s'enrichir de nouveaux termes au rythme de l'accroissement des connaissances ? Comment peut-on éviter d'avoir à passer d’une langue à une autre dans les universités et les grandes entreprises ?
Les technologies numériques, en particulier les technologies de la langue, fournissent des éléments de réponses. Internet facilite l'accès à l'information et à la connaissance pour l’ensemble des utilisateurs. Wikipedia existe dans environ 300 langues. Les réseaux sociaux impliquent l'utilisation des langues des différents utilisateurs pour les échanges. Facebook existe dans 80 langues, et Twitter en 20 langues. Les progrès de la science ont permis de mettre en œuvre des technologies linguistiques : les moteurs de recherche, la reconnaissance vocale et les systèmes de synthèse, la traduction automatique du texte et de la parole, etc… pour un nombre croissant de langues. Le traducteur de Google traite environ 60 langues, dont 20 avec l'interaction orale. Siri d'Apple est disponible en quatre langues. Jibbigo, un système de traduction de la parole autonome, en couvre une douzaine. Mais, comme on le voit, ces technologies ne sont disponibles que pour environ 60 langues, donc environ 1% des langues existantes, et à des niveaux de qualité (et donc de la facilité d'utilisation), très inégaux selon les langues concernées.
L’utilisation de ces technologies permet de réduire le coût d’un multilinguisme réel et pas seulement utopique. C’est même le seul moyen de le rendre possible. Et certaines technologies, telles que le sous-titrage automatique avec traduction ou correcteurs orthographiques, facilitent l’apprentissage de langues étrangères.
Or, ces technologies sont aujourd'hui fournies (gratuitement) par des sociétés américaines. Les acteurs de l’Union Européenne se disent prêts à partager la richesse de leurs cultures, mais ils sont confrontés à la barrière linguistique qui agit comme un obstacle à leurs échanges mutuels. L’absence d’investissements conséquents en la matière montre un désintérêt de fait pour cette question pourtant cruciale pour ce qui est présenté comme une « communauté ».
Essayer de convaincre les décideurs de la nécessité de développer ces technologies est une tâche difficile. Aucun groupe industriel n’a mis le multilinguisme parmi ses principales priorités, que ce soit dans le secteur des industries automobiles ou aéronautiques, les télécommunications, l'électronique grand public, l’informatique, les entreprises médicales ou audiovisuelles. Pourtant, chacun de ces secteurs a besoin du multilinguisme à des fins différentes, et la somme de ces besoins sectoriels représente un enjeu énorme. Qui fera ce calcul ? Qui va l'analyser ? Qui rassemblera les différents acteurs pour passer à l’acte ? Seule une volonté politique forte au niveau de l'Union Européenne pourrait le faire et démontrer ainsi que les technologies linguistiques ne sont pas seulement un sujet de recherche et de développement parmi d’autres, que les ressources linguistiques ne sont pas seulement des données perdues parmi beaucoup d'autres, mais qu’elles devraient constituer un élément essentiel de la construction européenne.
La langue française est une langue internationale importante, avec environ 220 millions de locuteurs dans le monde et environ 100 millions d'apprenants. C’est l'une des langues officielles de l'Union Européenne. Elle a longtemps été considérée comme la langue préférée pour la diplomatie ou la culture, mais l'Anglais (dont le berceau ne fait plus partie de l’U.E.) l’a progressivement remplacée pour toutes les utilisations. Le Français est très bien placé sur Internet où il est classé 8e des langues utilisées pour les requêtes de recherche sur le Web, après l'Anglais, mais aussi l’Espagnol, le Portugais et l’Allemand. Pour ce qui est de sa capacité à transmettre les connaissances, le Français est classé 3ème dans Wikipedia, derrière l'Anglais et l'Allemand. Plus de 60 langues, en comptant les langues régionales, sont également parlées en France métropolitaine ou dans ses territoires d'outre-mer.
La recherche française a bénéficié de programmes tels que le programme de langues Industries Francophone (FRANCIL) de l'Association des universités francophones (AUF), ou le programme Technolangue soutenu par plusieurs ministères français. Aujourd’hui, le grand programme franco-allemand Quaero concernant le traitement automatique des documents multilingues et multimédias regroupe environ 30 partenaires industriels et académiques dans le développement de huit projets applicatifs, et de plus de 30 technologies pour le traitement des langue parlée et écrite, image, vidéo et musique. Il est entièrement structuré autour de l'évaluation systématique des progrès de la technologie et de la production des données nécessaires pour développer et tester ces technologies.
Ces projets ont permis d'investir dans la production des données nécessaires pour le développement de technologies pour la langue française. Ils mettent le Français en bonne position au sein du groupe des langues européennes bénéficiant de ces technologies, avec l'Allemand, l’Espagnol, l’Italien et le Néerlandais, mais loin derrière l'Anglais.
Or, les entreprises françaises, comme beaucoup de celles de l'Europe, sont en majorité des PME qui sont en concurrence avec les grandes entreprises américaines telles que Google, Apple, IBM, Microsoft ou Nuance, qui ont investi massivement dans ces technologies. De nombreux chercheurs de ces entreprises américaines ont même été formés dans les laboratoires de recherche européens, ce qui est un comble.
La situation est similaire dans d'autres grands pays industrialisés où la langue française est largement utilisée : Belgique, Suisse et Canada.
Le financement de la recherche et de l'innovation sur les technologies linguistiques manque de continuité et se compose de programmes à court terme, coordonnés puis interrompus par des périodes de financement courtes ou clairsemées. Aucune coordination n’existe avec les programmes des autres Etats de l'Union Européenne sur ce sujet, même si ce thème de recherche semble être idéalement placé pour bénéficier d'un effort transnational partagé. La situation est similaire au sein de la Commission Européenne, où l’intérêt accordée à ce domaine varie au fil du temps. Il bénéficie parfois d'un engouement particulier chez un commissaire et devient une unité dédiée et une ligne d'action dans le programme-cadre, et d'autres fois il est fondu dans un conglomérat de différentes natures, alors que son rôle dans la construction de l'Europe était, nous avait-on dit clairement identifié.
Récemment, un invité (indien) a déclaré sur ARTE que, si les échanges d’informations continuaient à dans la forme et au rythme actuels, il ne resterait que trois langues vivantes sur la planète dans un siècle : l’Anglais (ou plutôt l’Anglo-américain), le Chinois (Mandarin), et l’Espagnol. L’évolution actuelle de l’Union Européenne ne permet pas de démentir cette affirmation, mais son éclatement ne ferait que reporter sur chaque état-nation la nécessité d’investir pour survivre en tant que langue et culture spécifiques.
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