Une
femme regarde un portrait d'Emile Verhaeren par l'artiste belge
Constant Montald, au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 /
AFP
Mais cet idéal d'européanité s'est fracassé contre la Grande Guerre de 1914-18, comme en témoigne la rupture de sa longue amitié avec son jeune admirateur et traducteur autrichien, Stefan Zweig (1881-1942), qui représentait le monde germanique.
"Verhaeren et ses amis allemands caressaient l'utopie d'une Europe réconciliée, dominée par les deux civilisations jugées supérieures de la France et de l'Allemagne, deux cultures très bien incarnées par la Belgique", explique à l'AFP Fabrice Van de Kerckhove, attaché scientifique aux Archives et Musée de la littérature de la Communauté française de Belgique.
Le rêve européen de l'écrivain belge est le thème d'une riche exposition - intitulée "Un poète pour l'Europe" - au Musée Emile Verhaeren à Sint-Amands (Saint-Amand), son pittoresque bourg natal en Flandre, près d'Anvers. Sa tombe de granit noir y surplombe une majestueuse courbe de l'Escaut.
Longtemps récité dans les écoles ("Le Vent", "Le Passeur d'Eau"), Emile Verhaeren (1855-1916) a quelque peu perdu de sa renommée, du moins hors de Belgique.
Buste d'Emile Verhaeren par le sculpteur français Ossip Zadkine au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Flamand d'expression francophone, il aurait d'ailleurs pu se voir attribuer le prix Nobel de littérature en 1911 - décerné à son compatriote Maurice Maeterlinck - puis à nouveau en 1915, mais là c'est le pacifiste Romain Rolland qui l'obtient.
- Idéal européen -
Verhaeren a chanté le Vieux continent dans plusieurs poèmes, en particulier dans "L'Europe" (1906):
"Devant le masque cru des féroces idoles / Elle apporte soudain de nouvelles paroles / Elle déplie en des âmes mornes encor / L'aile obscure qui soutiendra leur prime essor / Et sur des fronts étroits et durs que rapetisse / L'esclavage, la peur, l'effroi, la cruauté, / Sa main fait lentement, mais sûrement flotter / Quelque rêve futur qui serait la justice".
Ailleurs, il écrit que "L'Europe est une forge où se frappe l'idée".
Mémorial à Emile Verhaeren au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
"Par dessus la terre de ses pères, son amour allait vers l'Europe, vers le monde entier, plus que le passé il aimait l'avenir", a loué Stefan Zweig, le biographe de Verhaeren.
Mémorial à Emile Verhaeren au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
"Verhaeren, d'Européen et de grand admirateur de l'Allemagne, va se transformer en pourfendeur de la barbarie allemande", souligne Fabrice Van de Kerckhove, qui a édité la correspondance entre l'écrivain autrichien et Verhaeren.
Personnage entier, ce dernier ira jusqu'à reprendre certaines légendes de la propagande franco-britannique.
- Destins tragiques -
Ainsi, dans le poème "La Belgique sanglante" (1915), il raconte que l'on retrouvait dans les musettes des soldats allemands les pieds coupés d'enfants français ou belges à côté des dentelles prises sur les cadavres de jeunes femmes violées. "Ces accusations de +sadisme germain+ ont évidemment indigné ses anciens amis allemands et autrichiens, notamment Zweig", poursuit M. Van de Kerckhove.
"Les amis pacifistes de Verhaeren ont cherché les moindres indices d'un revirement, et Romain Rolland ne voulait pas y croire, mais l'entourage du poète était farouchement nationaliste et anti-allemand", observe-t-il.
Zweig sera même accusé d'avoir dérobé la correspondance amoureuse de Verhaeren.
La rupture est consommée, malgré les efforts de Romain Rolland et de l'écrivaine féministe suédoise Ellen Key. "Tous les Allemands ne sonnent pas comme ceux qui donnent le ton au chanson (sic)! Notre ami Stefan Zweig souffre cruellement de vos mots contre vos amis allemands. Vous, cher Verhaeren, saura distinguer entre l'Allemagne de Prusse et celle de Goethe", implore-Ellen Key. En vain.
Le poète belge ne verra pas la fin de la guerre. Il mourra à 61 ans dans un stupide accident en gare de Rouen, le 27 novembre 1916, au cours d'une tournée de conférences patriotiques.
"Pêcheurs" du peintre belge Anto Carte au musée Emile Verhaeren à Sint-Amands le 3 août 2016 / AFP
Moralement abattu par la nouvelle guerre qui dévaste l'Europe, il se suicide en 1942, avec son épouse, en laissant un livre-testament, "Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen", empreint de la nostalgie d'un "âge d'or" de l'Europe d'avant 1914.
"Un poète pour l’Europe", Musée Emile Verhaeren à Sint-Amands, jusqu’au 27 novembre.
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