Véronique Decker est directrice d'une école primaire à Bobigny. Dans son livre, elle raconte, un brin piquante, des souvenirs piochés dans trente-et-un ans de carrière en banlieue. Morceaux choisis.
En
ce moment, son principal souci s’appelle Gyunaydan. Un bonhomme de
10 ans, obligé de prendre chaque matin un bus, deux RER et un tramway
pour venir à l’école. «Ça coûte 27,60 euros en ticket chaque jour,
pour lui et sa mère qui l’accompagne. Je pioche dans l’argent qu’une
fondation m’a donné. Mais je ne vais pas en avoir suffisamment pour lui
payer les trajets jusqu’à la fin de l’année…», soupire Véronique
Decker. Elle est directrice depuis dix ans d’une école primaire à
Bobigny (Seine-Saint-Denis) au milieu d’un chantier de rénovation
urbaine, entre les pelleteuses et les barres HLM en train d’être
démolies.
Dans son école, elle accueille plusieurs enfants roms comme Gyunaydan ou Slavi, dont Libération suit le parcours depuis plus d’un an. Après l’évacuation du camp des coquetiers en octobre 2014, situé près de l’école à Bobigny, ils ont continué à venir, à s’accrocher à cette école, seul lien avec la société française. «Je n’ai pas choisi d’avoir des enfants roms dans mon école. Cela s’est trouvé comme ça. […] J’aurais fait de même si des enfants du Zimbabwe étaient venus vivre à Bobigny dans les bidonvilles», écrit Véronique Decker dans son livre Trop classe!, tout juste publié. Un petit bouquin qui se lit vite, sous la forme de courts chapitres : à chaque fois, un souvenir, un morceau de vie pioché dans trente ans de carrière.
Véronique Decker, 58 ans, est une enseignante militante. Syndiquée
depuis toujours, adepte de la pédagogie de Freinet. Elle écrit comme
elle parle, avec aplomb, sans circonvolution, et un brin piquante. Son
livre décrit, par petites touches, l’école publique dans les
«territoires» oubliés – ce mot que l’Etat a inventé «pour parler de
la banlieue, sans jamais nommer les pauvres, les Arabes, les Noirs et
les Roms qui composent désormais la classe sociale, majoritaires en
nombre d’habitants». Egratigne les politiques publiques, «que nous soyons en ZEP, REP+, zone sensible et tutti quanti, l’Etat ne donne aucun euro» pour les classes vertes, indispensables, juge-t-elle, pour permettre aux enfants de «s’attacher au territoire français». Ironise sur l’état des bâtiments, mal conçus ou pas entretenus, ou les deux. «J’hésite
à décerner une palme d’or : entre la maternelle Picasso de Montreuil,
dont la cour de récréation est couverte d’un grillage car les habitants
de la cité lancent des canettes et des couches pleines sur les enfants
en récréation, la maternelle Robespierre de Bobigny toute en amiante mur
et toit…»
Elle parle aussi d’elle, de ses loupés, comme quand elle gronde une élève car son cahier est tout gondolé. «Larmes. Arrive le soir, l’heure des parents. Je vois la maman et je lui demande ce qui s’est passé avec le cahier. Larmes. Cette fois, c’est la mère qui pleure.» Elle a été chassée par son mari et dort en secret avec la petite dans la cave dont elle a conservé les clés. Des trucs universels, aussi, qui font sourire. «Comment parler de l’école sans parler du meilleur ami de l’institutrice ? Le pou.» Des gros mots dans la cour de récré et de la méthode finaude de sa collègue Nadia pour leur faire la peau. «Elle racontait aux petits qu’elle connaissait le plus gros mot du monde, celui que personne n’avait le droit de dire et que d’ailleurs ils n’avaient jamais entendu : Saperlipopette. […] Résultat, plus aucun d’entre eux ne disait "salope, enculé, connasse". Et ils pouffaient de rire lorsque l’un chuchotait "saper…"»
Le dernier chapitre du livre s’appelle «Partir». Véronique Decker a demandé sa mutation cette année. «Avec les enseignants qui travaillent dans l’école, nous avons tenté au maximum de nos forces de rendre l’enfance plus douce à nos élèves […] Mais les élans retombent un à un, la solidarité diminue, écrit-elle. Alors, comme tout le monde, j’abandonne.» Fatiguée, elle veut partir au vert en Corrèze, terminer sa carrière. «J’ai fini le livre comme ça, sûre d’obtenir ma mutation après mes trente et un ans d’expérience.» En fait, non. Sa demande a été refusée.
Dans son école, elle accueille plusieurs enfants roms comme Gyunaydan ou Slavi, dont Libération suit le parcours depuis plus d’un an. Après l’évacuation du camp des coquetiers en octobre 2014, situé près de l’école à Bobigny, ils ont continué à venir, à s’accrocher à cette école, seul lien avec la société française. «Je n’ai pas choisi d’avoir des enfants roms dans mon école. Cela s’est trouvé comme ça. […] J’aurais fait de même si des enfants du Zimbabwe étaient venus vivre à Bobigny dans les bidonvilles», écrit Véronique Decker dans son livre Trop classe!, tout juste publié. Un petit bouquin qui se lit vite, sous la forme de courts chapitres : à chaque fois, un souvenir, un morceau de vie pioché dans trente ans de carrière.
Saperlipopette
Véronique Decker, 58 ans, est une enseignante militante. Syndiquée
depuis toujours, adepte de la pédagogie de Freinet. Elle écrit comme
elle parle, avec aplomb, sans circonvolution, et un brin piquante. Son
livre décrit, par petites touches, l’école publique dans les
«territoires» oubliés – ce mot que l’Etat a inventé «pour parler de
la banlieue, sans jamais nommer les pauvres, les Arabes, les Noirs et
les Roms qui composent désormais la classe sociale, majoritaires en
nombre d’habitants». Egratigne les politiques publiques, «que nous soyons en ZEP, REP+, zone sensible et tutti quanti, l’Etat ne donne aucun euro» pour les classes vertes, indispensables, juge-t-elle, pour permettre aux enfants de «s’attacher au territoire français». Ironise sur l’état des bâtiments, mal conçus ou pas entretenus, ou les deux. «J’hésite
à décerner une palme d’or : entre la maternelle Picasso de Montreuil,
dont la cour de récréation est couverte d’un grillage car les habitants
de la cité lancent des canettes et des couches pleines sur les enfants
en récréation, la maternelle Robespierre de Bobigny toute en amiante mur
et toit…»Elle parle aussi d’elle, de ses loupés, comme quand elle gronde une élève car son cahier est tout gondolé. «Larmes. Arrive le soir, l’heure des parents. Je vois la maman et je lui demande ce qui s’est passé avec le cahier. Larmes. Cette fois, c’est la mère qui pleure.» Elle a été chassée par son mari et dort en secret avec la petite dans la cave dont elle a conservé les clés. Des trucs universels, aussi, qui font sourire. «Comment parler de l’école sans parler du meilleur ami de l’institutrice ? Le pou.» Des gros mots dans la cour de récré et de la méthode finaude de sa collègue Nadia pour leur faire la peau. «Elle racontait aux petits qu’elle connaissait le plus gros mot du monde, celui que personne n’avait le droit de dire et que d’ailleurs ils n’avaient jamais entendu : Saperlipopette. […] Résultat, plus aucun d’entre eux ne disait "salope, enculé, connasse". Et ils pouffaient de rire lorsque l’un chuchotait "saper…"»
Le dernier chapitre du livre s’appelle «Partir». Véronique Decker a demandé sa mutation cette année. «Avec les enseignants qui travaillent dans l’école, nous avons tenté au maximum de nos forces de rendre l’enfance plus douce à nos élèves […] Mais les élans retombent un à un, la solidarité diminue, écrit-elle. Alors, comme tout le monde, j’abandonne.» Fatiguée, elle veut partir au vert en Corrèze, terminer sa carrière. «J’ai fini le livre comme ça, sûre d’obtenir ma mutation après mes trente et un ans d’expérience.» En fait, non. Sa demande a été refusée.
(1) Trop classe!, de Véronique Decker. Libertalia, 128 pp., 10 euros.
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