Historien, présentateur, écrivain, ministre et académicien, il n'a vécu que pour sa passion de l'histoire. Alain Decaux vient de disparaître à 90 ans.
Par Marc Fourny
Publié le
| Le Point.fr
Qui pourrait imaginer aujourd'hui écouter un érudit filmé en plan
fixe, seul derrière une simple table, narrant durant près d'une heure
les grands soubresauts de l'histoire de France ? C'est pourtant
l'exercice qui fit la renommée d'Alain Decaux sur le petit écran, avec la bien nommée émission Alain Decaux raconte.
Pendant des années, ce conteur hors pair, à la mémoire prodigieuse,
rappelait aux Français les grandes et petites anecdotes de leur histoire
en jouant sur les silences, le suspense et les rebondissements... Tout y
passait, dans un brillant éclectisme populaire : Louis XVII, la bête du Gévaudan, le radeau de la Méduse, les quatre sergents de La Rochelle, Landru, le secret de Monte-Cristo... Et la France (re)découvrait alors ce qui cimente finalement le mieux une nation : ses histoires de famille.
La sienne commence dans le Nord, d'où viennent ses parents. Des ancêtres paysans, un grand-père instituteur, un père avocat : une méritocratie à la française, à la force du travail et des diplômes, comme la IIIe République en a tant connu. Il naît à Lille en 1925, passe son enfance à la campagne, poursuit ses études en ville et partage son temps entre la lecture et les escapades familiales sur les plages belges, à s'entasser dans la voiture du père pour aller déguster du lapin froid entre les dunes. Il aurait pu rester toute sa vie en province, mais la guerre vient tout chambouler. Ses parents flairent la menace. Il vaut mieux quitter le Nord. La famille se réfugie dès 1939 en Bretagne, chez des cousins. Puis son père finit par se fixer à Paris, comme administrateur judiciaire, et toute la famille s'installe dans la capitale. « C'est ainsi que je suis devenu parisien et que j'ai pu faire cette carrière, a-t-il un jour reconnu. C'est la guerre qui a fait de moi ce que je suis. »
Les hasards du destin lui feront croiser le célèbre dramaturge. À la Libération, Guitry est soupçonné et emprisonné. Decaux, alors mobilisé, apprend la nouvelle, fonce à son domicile et s'improvise gardien des lieux pour éviter tout pillage... Le maître lui en sera toujours reconnaissant : « Puisque vous avez sauvé cette maison, elle est un peu la vôtre », lui lance-t-il. Inscrit en droit, pour faire plaisir à papa, il suit finalement des cours d'histoire à la Sorbonne, pour le plaisir, et commence à placer des papiers dans les rédactions. Puis viennent les premiers livres, parrainés par Guitry, toujours bienveillant : d'abord une enquête sur Louis XVII – l'un de ses thèmes de prédilection –, suivie d'une biographie de Letizia, la mère de Napoléon, couronnée par l'Académie française alors que son auteur n'a que 25 ans !
Un jour, on lui propose d'être seul à l'antenne pendant au moins un quart d'heure. Refus polis, il connaît les règles de la télé : s'aventurer sans image en racontant un récit, c'est aller au casse-pipe. Puis il accepte, à condition de raconter à sa façon, sobrement, au débotté, avec des mots simples et un récit imagé. Ce seront les fameuses émissions Alain Decaux raconte, qui vont durer jusqu'à la fin des années 1980. On enregistre d'abord dans le sous-sol de sa maison, un cadrage, deux essais, et c'est parti, Decaux déroule son récit sans notes. « Vous avez tout appris par cœur ? » lui demande-t-on. « Non, j'ai relu mes notes et ça a mijoté pendant la nuit... » Avec ses lunettes en écaille et son costume sombre, le voilà intronisé premier prof d'histoire de France par la magie de la télévision. Un vrai succès, que résume à sa manière François Mauriac, grand fan de l'émission : « Alain Decaux est un conteur comme il n'y en a plus. Il sait de quoi il parle, il est informé de tout ce qui concerne son sujet, mais il garde le ton de l'enfance : Il était une fois… »
Il est désormais partout, rançon du succès. Édition, radio, télévision, tous les supports sont bons pour populariser l'histoire, la grande mais surtout la petite, chère à son cœur. Il a permis à une génération entière de se réapproprier des personnages et des événements, pas toujours faciles, grâce à sa faconde et à son sens de la dramaturgie. De façon simpliste et biaisée pour certains, qui lui ont reproché de donner dans la facilité, parfois l'inexactitude, en mettant plus en avant le roman national et ses grands hommes que l'exégèse du métier. À la fin des années 1970, il prend même la tête d'une croisade contre l'abandon de l'enseignement traditionnel en interpellant politiques et citoyens à la une du Figaro Magazine : « Français, on n'apprend plus l'histoire de France à vos enfants ! » Et voilà la Rue de Grenelle contrainte de revoir son ambitieuse réforme...
La sienne commence dans le Nord, d'où viennent ses parents. Des ancêtres paysans, un grand-père instituteur, un père avocat : une méritocratie à la française, à la force du travail et des diplômes, comme la IIIe République en a tant connu. Il naît à Lille en 1925, passe son enfance à la campagne, poursuit ses études en ville et partage son temps entre la lecture et les escapades familiales sur les plages belges, à s'entasser dans la voiture du père pour aller déguster du lapin froid entre les dunes. Il aurait pu rester toute sa vie en province, mais la guerre vient tout chambouler. Ses parents flairent la menace. Il vaut mieux quitter le Nord. La famille se réfugie dès 1939 en Bretagne, chez des cousins. Puis son père finit par se fixer à Paris, comme administrateur judiciaire, et toute la famille s'installe dans la capitale. « C'est ainsi que je suis devenu parisien et que j'ai pu faire cette carrière, a-t-il un jour reconnu. C'est la guerre qui a fait de moi ce que je suis. »
Le coup de pouce de Sacha Guitry
Et la littérature aussi. Alain Decaux a toujours aimé les livres, depuis sa plus tendre jeunesse. À 11 ans, il est hospitalisé pour une crise d'appendicite. Pour l'occuper, son grand-père lui offre Le Comte de Monte-Cristo, une révélation. Dès lors, il demande à son père un livre d'Alexandre Dumas à chaque fois qu'il rapporte une bonne note de l'école et se plonge dans la lecture des ouvrages de Lenotre, le « pape » de la petite histoire, qui va fortement l'influencer. À l'adolescence, il se rêve auteur dramatique, à l'image de son autre idole, Sacha Guitry. « Je n'ai cessé d'écrire des pièces de théâtre jusqu'à l'âge de 20 ou 22 ans, s'est-il souvenu dans une interview. J'en ai écrit une douzaine. Il me reste le manuscrit de trois ou quatre d'entre elles. Elles sont à pleurer de naïveté... »Les hasards du destin lui feront croiser le célèbre dramaturge. À la Libération, Guitry est soupçonné et emprisonné. Decaux, alors mobilisé, apprend la nouvelle, fonce à son domicile et s'improvise gardien des lieux pour éviter tout pillage... Le maître lui en sera toujours reconnaissant : « Puisque vous avez sauvé cette maison, elle est un peu la vôtre », lui lance-t-il. Inscrit en droit, pour faire plaisir à papa, il suit finalement des cours d'histoire à la Sorbonne, pour le plaisir, et commence à placer des papiers dans les rédactions. Puis viennent les premiers livres, parrainés par Guitry, toujours bienveillant : d'abord une enquête sur Louis XVII – l'un de ses thèmes de prédilection –, suivie d'une biographie de Letizia, la mère de Napoléon, couronnée par l'Académie française alors que son auteur n'a que 25 ans !
Complice avec André Castelot
À peine accepté dans l'édition, il prend ses aises en radio avec La Tribune de l'histoire, une émission diffusée sur Paris Inter – l'ancêtre de France Inter –, en compagnie notamment de celui qui va devenir son grand complice et ami : André Castelot. Les deux compères s'invitent chez les Français en racontant les figures et les énigmes du temps passé avec succès pendant plus de quarante ans ! C'est donc logiquement qu'on les retrouve bientôt tous deux dans La caméra explore le temps, une série diffusée cette fois à la télé, qui reconstitue des événements historiques avec l'aide de comédiens. « Moi qui avais envie de faire des pièces de théâtre, d'écrire des dialogues, tout à coup, j'y revenais ! »Un jour, on lui propose d'être seul à l'antenne pendant au moins un quart d'heure. Refus polis, il connaît les règles de la télé : s'aventurer sans image en racontant un récit, c'est aller au casse-pipe. Puis il accepte, à condition de raconter à sa façon, sobrement, au débotté, avec des mots simples et un récit imagé. Ce seront les fameuses émissions Alain Decaux raconte, qui vont durer jusqu'à la fin des années 1980. On enregistre d'abord dans le sous-sol de sa maison, un cadrage, deux essais, et c'est parti, Decaux déroule son récit sans notes. « Vous avez tout appris par cœur ? » lui demande-t-on. « Non, j'ai relu mes notes et ça a mijoté pendant la nuit... » Avec ses lunettes en écaille et son costume sombre, le voilà intronisé premier prof d'histoire de France par la magie de la télévision. Un vrai succès, que résume à sa manière François Mauriac, grand fan de l'émission : « Alain Decaux est un conteur comme il n'y en a plus. Il sait de quoi il parle, il est informé de tout ce qui concerne son sujet, mais il garde le ton de l'enfance : Il était une fois… »
Besoin de lutter contre sa « tendance au farniente »
Les succès d'édition s'enchaînent naturellement, des dizaines de livres tirés de ses recherches, de ses notes personnelles et de ses émissions, écrits dans sa maison du Vésinet où finissent par s'entasser près de 15 000 ouvrages. Un travail de titan qu'il n'aurait pas imaginé mener à terme. « Quand j'ai voulu entreprendre une carrière littéraire, ma mère me disait : Tu ne peux pas faire ce métier, car tu es trop paresseux. C'est vrai que je suis paresseux et j'ai sans cesse besoin de lutter contre ma tendance au farniente, au rêve. Je voudrais rêver des jours, des semaines, et il y a toujours un travail urgent qui se présente. »Il est désormais partout, rançon du succès. Édition, radio, télévision, tous les supports sont bons pour populariser l'histoire, la grande mais surtout la petite, chère à son cœur. Il a permis à une génération entière de se réapproprier des personnages et des événements, pas toujours faciles, grâce à sa faconde et à son sens de la dramaturgie. De façon simpliste et biaisée pour certains, qui lui ont reproché de donner dans la facilité, parfois l'inexactitude, en mettant plus en avant le roman national et ses grands hommes que l'exégèse du métier. À la fin des années 1970, il prend même la tête d'une croisade contre l'abandon de l'enseignement traditionnel en interpellant politiques et citoyens à la une du Figaro Magazine : « Français, on n'apprend plus l'histoire de France à vos enfants ! » Et voilà la Rue de Grenelle contrainte de revoir son ambitieuse réforme...
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