lundi 18 avril 2016

Peut-on reconnaître un écrivain à sa ponctuation ?

Peut-on reconnaître un écrivain à sa ponctuation ?

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Qu'est-ce qui fait le style d'un écrivain ? Il y a bien sûr le choix des mots, des formules, des temps employés, l'ampleur et la vivacité de la phrase, etc. Mais il y a aussi, parsemés au milieu de tout cela, ces petits signes qui font le liant, le rythme et, parfois aussi, les indications "scéniques", suggérant le doute, la joie, la colère : les signes de ponctuation. Eux aussi font partie de la "petite musique" chère à Louis-Ferdinand Céline. Bien sûr ils ne sont pas négligés par les spécialistes de la littérature. On trouvera ainsi des articles sur l'usage de la parenthèse chez Marcel Proust ou sur les fameux trois points de Céline. Si j'en parle ici, c'est parce que je me pose une question depuis longtemps (contrairement à ce que ce blog peut parfois laisser croire, j'ai fait des études littéraires et non pas scientifiques...) : pourrait-on reconnaître un auteur sans aucun de ses mots, en ne disposant que de sa ponctuation ? Ce qui revient à demander si une image des points, des virgules, des points d'exclamation ou d'interrogation, etc., serait suffisamment parlante pour distinguer un auteur d'un autre.

La question dormait depuis des lustres dans les limbes de mon cerveau et elle est remontée à la surface lorsque j'ai vu ce billet d'Adam Calhoun. A l'origine, Adam a fait des mathématiques ainsi que de l'informatique et il s'est "reconverti" dans les neurosciences – et notamment les neurosciences dites computationnelles – à l'université de Princeton (Etats-Unis). Il a écrit un petit programme pour ne conserver d'un texte que sa ponctuation et visualiser les données ainsi recueillies sur une grille claire. Il a évidemment effectué ses essais sur des œuvres de la littérature anglo-saxonne et il a très gentiment accepté, à ma demande, de faire tourner son programme sur quelques textes célèbres d'auteurs français que je lui ai fournis.

Voilà deux exemples de ce que cela donne :
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Extrait du "Côté de Guermantes" de Marcel Proust. © Adam Calhoun.
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Début de "Mort à crédit", de Louis-Ferdinand Céline. © Adam Calhoun.

Il me semble que, visuellement, le résultat de l'expérience est frappant. Certes j'ai choisi des auteurs dotés chacun d'un style très caractéristique, pour ne pas dire caricatural dans ses "manies". Sautent aux yeux, chez Proust, la multiplication des virgules et des incises (tirets et parenthèses) et, surtout, la rareté relative des points, l'ensemble signalant la fameuse phrase proustienne très longue et à tiroirs. A l'inverse, chez Céline, les points sont fréquents, ce qui induit que les phrases sont courtes. Et quand le narrateur commence à s'emballer, les trois points surgissent par grappes (jusqu'à six de suite dans cet extrait) ainsi que les points d'exclamation. L'auteur de Mort à crédit met de l'oralité et beaucoup de rythme dans ses écrits, au point que presque tous les autres signes de ponctuation disparaissent.

Je voudrais poursuivre l'expérience... avec vous. Ci-dessous figurent trois extraits célèbres de la littérature française, mais bien évidemment sans les mots. Serez-vous capables d'identifier leurs auteurs, voire les œuvres dont il s'agit ? Le test est difficile mais il vaut la peine d'être tenté, ne serait-ce que pour le plaisir du jeu et du défi...
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Extrait 1, début d'un roman par un maître du point-virgule... © Adam Calhoun.
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Extrait 2. Attention, il y a un piège... Malgré les apparences, il s'agit d'un soliloque... © Adam Calhoun.
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Extrait 3. Autre début de roman. Les tirets indiquent ici des dialogues et non des incises. © Adam Calhoun.
Je vous invite à laisser vos suggestions, pour chacun de ces extraits, dans les commentaires. Pour ceux qui voudraient vérifier s'ils ont vu juste ou qui donneraient leur langue au chat, voici le lien vers la page où figurent les réponses...
Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)
Post-scriptum : je remercie chaleureusement Adam Calhoun d'avoir pris du temps pour adapter son programme à la langue française (avec ses guillemets...) et à mes desiderata (faire apparaître les points de suspension comme un seul signe).

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