mardi 5 avril 2016

«Dictée pour les nuls» : «J'ai fait douze fautes»

La 7e édition de la Dictée pour les nuls s'est déroulée le 20 mars au Salon du livre qui ferme ses portes ce soir. Notre reporteur a joué le jeu.

Le Journal du dimanche, Pierre Vavasseur |
Porte de Versailles (Paris XVe), hier. Notre reporteur, Pierre Vavasseur (à droite), a bravé les difficultés de la Dictée pour les nuls, a transpiré, s’est creusé la cervelle et termine avec un douze fautes.
Porte de Versailles (Paris XVe), hier. Notre reporteur, Pierre Vavasseur (à droite), a bravé les difficultés de la Dictée pour les nuls, a transpiré, s’est creusé la cervelle et termine avec un douze fautes. (LP/Philippe Lavieille.)
Ah ! Le sagouin, le bachibouzouk, l'ostrogoth, le pervers ! Nous servir des « rets » et des « lacs », prononcés « ré » et « la », débrouille-toi avec ça ! Des « hyalines », que l'on transcrit bêtement en « ialines », ou ces « vigousses champagnés » que l'on écrira d'abord correctement avant de le corriger à l'infinitif ! Sans parler de cette phrase : « Mille quatre cents de mes mots se sont vu attaquer.
 » Que m'a-t-il pris d'accorder ce « vu » au pluriel ? Il y avait une variante autorisée : « se sont vus attaqués ». Résultat pour ma pomme : ni l'un ni l'autre. Et pour quelle mystérieuse raison me suis-je convaincu que « garrotter » ne prenait pas deux « t » ? C'est tellement évident maintenant. J'avais révisé « forsytia », « céanothe », « délétère ». Je suis tombé sur « caligineuse » et « hourdi ». Résultat : douze fautes tandis que la championne du jour en a fait tout de même huit.

Décidément, l'exercice de la Dictée pour les nuls, dont la 7e édition s'est déroulée hier au Salon du livre, réunissant plus de 350 participants, nous a rappelé que sous le crâne de Jean-Joseph Julaud, ancien professeur devenu écrivain et directeur de collection aux Editions First, se bousculent de sadiques aspérités.

Julaud, ce n'est même pas « Monsieur Teste », titre d'un ouvrage du poète Paul Valéry, c'est Monsieur Piège. A l'en-tête de la copie vierge distribuée aux concurrents, anonymes curieux, volontaires venus au Salon, il fallait cocher parmi trois cases : « junior », « amateur » ou « expert ». Amateur suffira. On a bien fait. La partie réservée aux experts sonnait à l'oreille comme si elle était rédigée en vieux français. « Tous les mots figurent dans le dictionnaire », a précisé Julien Soulié, chef des 30 correcteurs appelés à plancher l'après-midi sur les copies des candidats.


Du saut sans élastique dans le vide lexical



L'ancien ministre de l'Education Xavier Darcos, membre de l'Académie française, parrainait cette sympathique séance de masochisme qui a bien des vertus : la première est de nous rappeler que rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, comme disait Louis Aragon, ni sa grammaire et encore moins son sens de l'accord.

A l'écoute du texte dicté, le cerveau, qui folâtrait jusqu'ici dans ses certitudes, crie panique. Faut-il mettre un tiret à Moyen Age ? « Non, parce qu'il y a deux majuscules », tranchera une experte. Ma très jeune voisine se retourne souvent, discrètement, sur mes très grandes fautes. La pauvre ! Je lui inspire confiance ! Je suis en train d'écrire billevesée au pluriel alors que c'est un singulier. Je jette un oeil autour de moi. Le peloton roule tête baissée. La concurrence a l'air sûre d'elle. Les « rets » et les « lacs » ne semblent pas la traumatiser. Quand je lirai plus tard, en me masquant à demi les yeux, le corrigé de la dictée, j'aurai une bonne surprise : « les sorgues dévergondées », je l'ai écrit tel quel. Au féminin, en me souvenant de L'Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse, patrie de René Char et du chanteur Renaud. C'était du grand n'importe quoi. Du saut sans élastique dans le vide lexical. Muriel, une comédienne de connaissance s'est jetée dans l'arène. C'est d'autant plus courageux de sa part qu'elle est dyslexique. Soudain, un doute nous assaille. Comment ça s'écrit déjà, « dyslexique » ?


A vos stylos

Voici le texte de la dictée .

Prosopopée en sol mineur

Vous êtes venus. Me voici ! Vous m'avez tous attendue et pourtant nous passons ensemble nos jours et nos nuits. La première qui surgit au réveil dans votre esprit, c'est moi. Et parfois, nous nous racontons les rêves que nous avons traversés au coeur des sorgues dévergondées, criblées de bizarres lumerottes que parcourent, sur des taps-taps, de vigousses champagnés un peu fadas... Le rêve se termine ici avec ces jolis mots de la francophonie. Ici commence mon cauchemar...

Ecoutez-moi, je suis blessée. J'arrive de si loin ! Sachez que voilà bien longtemps, au Moyen Age, je fus aimée par un certain François Villon, docteur ès ballades. Bambine encore, jeunotte un peu pâlotte, naviguant à l'estime, je balbutiais mon succinct thésaurus, quels que fussent les chausse-trapes, les rets et les lacs hérités du latin. Puis Ronsard et Du Bellay m'ont grisée par leurs trouvailles drolatiques, hyalines ou caligineuses, hourdis élaborés pour mes structures.

Avec Malherbe, au XVIIe siècle, je suis devenue adulte, sobre, callipédique. Plus tard, Rousseau et Voltaire m'ont adulée. Enfin, en mille sept cent quatre-vingt-neuf, je vous fus offerte, et vous avez pu me lire, m'écrire, pendant que les Chateaubriand, Hugo ou Rimbaud vivaient pour moi cette espèce d'éréthisme enchanté que vous avez partagé.

Vous m'avez toujours respectée, n'omettant jamais le « i » du mot « oignon » — lettre que j'ai reçue des Anciens, comme tant d'autres, voilà mille ans. Vous avez adopté les chapeaux dont on m'a décorée ensuite, depuis le faîte jusqu'à l'abîme.

Aujourd'hui, on veut m'amputer de tout cela, manu militari ! Deux mille quatre cents de mes mots se sont vu attaquer. Je suis blessée.

Qu'eût-il fallu qu'on décidât alors, au temps où l'on prétendit qu'il était nécessaire qu'on me rectifiât ? Me rectifier, moi, me garrotter, billevesée ! Il suffisait que, davantage encore, on m'aimât.

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