lundi 4 avril 2016

Dany Laferrière ce samedi à Vichy : « Écrire pour le bien-être du monde »

La Montagne 04/04/2016  François Desnoyers

« Aujourd’hui, mes angoisses sont beaucoup plus celles de la place de l’adjectif dans la phrase que des grâces que je pourrais recevoir. » - JF Paga
« Aujourd’hui, mes angoisses sont beaucoup plus celles de la place de l’adjectif dans la phrase que des grâces que je pourrais recevoir. » - JF Paga
Il aime le claquement frénétique d’une machine à écrire, les silences imposés par les temps de lecture, et voue une tendresse infinie à l’alphabet. L’homme de lettres Dany Laferrière rappellera aujourd’hui, au Grand débat de Vichy, combien la littérature est « essentielle au bien-être du monde ».
Lorsque Dany Laferrière est parti à l’assaut de son premier roman, en 1985, il a fait l’acquisition d’une Remington 22. Cette machine à écrire était à ses yeux l’indispensable compagnon de l’écrivain qu’il rêvait de devenir. Elle allait, c’est sûr, lui permettre d’entrer dans ce cercle où brillaient les Miller et les Hemingway.
La machine était l’attribut par excellence de l’écrivain américain. Pas seulement : la bruyante Remington devait lui donner également un rythme, une « instantanéité » qu’il admirait chez ses aînés. « Je voulais de l’impact, une littérature concrète où chaque mot ait son poids, sa musique. La machine m’aidait, je pouvais, par le son, percevoir le déhanchement de la phrase », explique-t-il. Ce premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, fut un coup de maître doublé d’un grand succès populaire. L’ouvrier québecois d’origine haïtienne allait pouvoir se consacrer à la littérature et proposer, au fil de textes largement autobiographiques, une plongée dans l’Amérique et ses mythologies.
Sur le fauteuil d‘Emile Mâle Trente ans plus tard sort un recueil de plusieurs ouvrages, intitulé justement Mythologies américaines (Grasset). Et trente ans plus tard, l’auteur qui participe, aujourd’hui, à une rencontre dans le cadre du Grand débat à Vichy, est devenu une composante à part entière de cette mythologie. Aidé de sa Remington, il est passé de l’autre côté du miroir pour intégrer la galerie des grandes figures de la littérature américaine. Et puis, son cheminement d’immigré rencontrant le succès a fait de lui une parfaite illustration du self-made-man que l’Amérique affectionne.
Dany Laferrière a également fait son entrée à l’Académie française en 2015, au fauteuil numéro 2. Celui de Montesquieu, d’Alexandre Dumas fils mais également de l’historien d’art commentryen Emile Mâle. Surtout, il est ainsi devenu, après Julien Green, le second immortel à ne pas posséder la nationalité française. Un symbole, forcément.
« Les bienfaits de la lecture » De quoi renforcer encore son attrait, sa notoriété autant que l’écho donné à sa parole. Alors, on l’interroge aujourd’hui volontiers sur la marche du monde, les questions d’identité, d’intégration. Ce à quoi il répond avec la plus grande prudence, s’en remettant au « doute scientifique qui avait un sens autrefois », appelant à la réflexion et à l’enquête approfondie et, finalement, au « silence ». Celui de l’écrivain.
« On a l’impression que l’on devient écrivain pour que l’on vous questionne tout le temps », déplore-t-il. Il se démarque de la figure de l’intellectuel engagé, plus française qu’américaine à ses yeux, et des réponses « parfois boiteuses jetées à la face des gens et qui peuvent faire du mal ». Il leur préfère les bienfaits de « la lecture, l’écriture et l’alphabet qui font moins de bruit et imposent le silence au monde ».
S’en tenir à la stricte position d’auteur. Dany Laferrière le reconnaît : l’exercice est « difficile ». Mais pour ce faire, la passion, l’obsession même, de l’écriture lui sont d’un précieux secours, le détournant notamment des pièges et futilités de la célébrité. L’immortel de conclure : « Aujourd’hui, mes angoisses sont beaucoup plus celles de la place de l’adjectif dans la phrase que des grâces que je pourrais recevoir. »

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