vendredi 30 octobre 2015

Écrire sur la route


Les mots au fil de la route …
Je n'ai rien trouvé de mieux pour abolir le temps dans une voiture que de prendre mon ordinateur sur les genoux et d'écrire un texte au fil de mes pensées. Rassurez-vous, je ne suis pas le pilote : j'ai toujours détesté la voiture et conduire est pour moi une affreuse contrainte. Ces heures bloquées dans une carcasse mobile me paraissent interminables, sans intérêt ni saveur.
Alors, je m'isole dans ma bulle, je glisse des mots sur un écran que je vois à peine, tout en écoutant d'une oreille distraite la conversation de mes amis. Je suis un passager indélicat qui cherche à oublier ces heures d'immobilité contrainte en s'évadant vers d'autres horizons. Toutefois je m'autorise quelques interventions pour rester en lien avec ceux qui me conduisent de manière bienveillante.
La posture est quelque peu malaisée. La place vient à manquer, j'ai l'écran à peine replié, l'ordinateur sur les genoux vient se ficher dans mon ventre que d'aucuns diront proéminent. J'ai le cou cassé de tenter vainement de me relire. Pourtant, c'est ainsi que j'oublie ce bitume qui se déroule indéfiniment et sans surprise. Je suis bercé par le feulement des pneumatiques sur le goudron et les cliquetis de mes touches.
Le silence se fait dans l'habitacle ; mes compagnons sont sans doute en pleine rêverie, eux aussi. Les conversations ont un temps cessé d'aller d'un sujet à l'autre, d'une remarque à une suivante sans relation logique. C'est tout l'art de la parole qui rebondit d'un mot à une idée sans logique évidente. La réponse n'est d'ailleurs pas toujours au rendez-vous : le suivant peut partir dans une autre direction ; l'essentiel étant que la voiture reste sur la route.
L'auto-radio peut venir interrompre le jeu de ping-pong langagier. Malgré tout, il est rare qu'il s'impose à tous. Il n'est que prétexte à bruit sonore ou occasion de reprendre une information ou une réplique radiophonique pour relancer une conversation qui s'étiolait. La musique ne fait guère l'affaire, d'autant qu'elle divise bien plus qu'elle ne rassemble les passagers : chacun ayant des préférences qui s'harmonisent difficilement avec celles de son voisin.
Ce sont, une fois encore, les comportements de nos congénères automobilistes qui fédèrent, l'espace d'une infraction, la discussion dans l'habitacle. Preuve s'il en était besoin que la route demeure un espace hostile, dangereux et incertain. Les passagers, tout comme le pilote, sont aux aguets, à l'affût de l'imprévisible, la menace tapie au coin du chemin. Seul l'écriveur se moque de ce qui se trame devant son nez …
Ma voisine s'est endormie ; le soleil vient m'éblouir et provoquer des reflets désagréables sur l'écran. Tout le long de cette route défile un paysage monotone, sauvé toutefois par les couleurs chatoyantes de l'automne. Les glissières de sécurité me rappellent que nous sommes sur l'autoroute : ce curieux espace où règne la monotonie. Je m'ennuie, je me désespère d'arriver enfin alors que le long trajet ne fait que débuter.
Le pari de l'oubli de soi n'est pas toujours au rendez-vous de l'écrit. Ce texte n'a pas effacé la distance ni le temps. Il eût fallut entrer dans une fiction, se perdre dans la fable et ne plus se rendre compte dans le conte. L'inspiration venait à manquer ; les doigts n'ont fait que rendre ce temps figé et inerte. La barrière de péage vient rompre le ronronnement soporifique du moteur ; elle est vite franchie, le petit bip me signale que mon chauffeur est un abonné qui ne perd pas une seconde !
J'en arrive au bas de page, il ne me reste plus qu'à décider de mettre un point final à ces réflexions sans tête-à-queue, c'est du moins mon vœu le plus cher. L'accident de la route a toujours été ma hantise, mon plus redoutable cauchemar. Je hais à ce point la voiture que je place cette perspective du décès sur la route comme étant la plus absurde et la plus stupide issue qui soit à notre existence. Certains automobilistes ne semblent pas redouter cette fatalité : leurs comportements démontrent à l'évidence le peu de cas qu'ils font d'eux-même et surtout des autres , cela est bien plus ennuyeux !
Mais laissons là ces considérations morbides. Nous partons en vacances et j'espère arriver entier au bout de ce voyage qui ne fait que commencer.. J'ai passé quelques minutes en votre compagnie pour m'efforcer de conjurer l'ennui du trajet. J'espère que vous êtes restés sagement assis à votre place. Il est temps de faire une pause, de mettre une formule adverbiale au bout de ce récit. Une petite pause s'impose : ce sont les inconvénients de l'âge qui se rappellent à moi. Bonne route à vous aussi !
Passagèrement vôtre.

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