vendredi 4 mars 2016

Le mystérieux Monsieur Makine élu à l'Académie française

L'auteur du "Testament français", arrivé de Russie pour épouser notre langue voici près de 30 ans, est élu au fauteuil de l'Algérienne Assia Djebar.

Publié le | Le Point.fr
L'écrivain francophone d'origine russe Andreï Makine a été élu au premier tour par 15 voix à l'ancien fauteuil de l'Algérienne Assia Djebar.
L'écrivain francophone d'origine russe Andreï Makine a été élu au premier tour par 15 voix à l'ancien fauteuil de l'Algérienne Assia Djebar. © Grasset/ JF Paga

D'Andreï Makine, né le 10 septembre 1957 en Sibérie, arrivé en France à l'âge de 30 ans avec son diplôme de philologie, on sait si peu… Autrement que par ses livres. L'écrivain cultive son mystère tout en étant des plus couronnés. Le Testament français, son roman le plus autobiographique paru en 1995 (Mercure de France), lui valut à la fois les prix Goncourt et Médicis ; et l'année suivante, la nationalité française que son pays rêvé lui avait jusque-là refusée. Makine a le regard perçant, qui se fait miroir sans tain pour celui qui cherche à le sonder. C'est le regard droit d'un soldat défendant la littérature avec l'intransigeance qu'elle requiert à ses yeux, quitte à déplaire.
Makine revient de loin. Il lui a fallu remporter bien des batailles, dont les refus des éditeurs à publier ses premiers romans, doutant de ce Russe écrivant directement en français (La Fille d'un héros de l'Union soviétique, Laffont, 1990, Confession d'un porte-drapeau déchu, Belfond, 1992), jusqu'à ce qu'il use de la ruse : les faire croire traduits du russe par un certain Lemonnier, du nom de son aïeul français venu s'installer en Sibérie à la fin du XIXe. De là vient cette présence, dès l'âge de 3 ans, de la langue française apprise auprès de Charlotte, la grand-mère du Testament.

Allers et retours entre ses deux cultures

Près de quinze romans plus tard, Makine reste fidèle non pas tant à ses éditeurs qu'à ses allers et retours entre ses deux cultures, et aux mémoires de chacune : son avant-dernier roman, Une femme aimée (Seuil, 2013), revient sur la figure de Catherine II. Et le dernier (Le Pays du lieutenant Schreiber, Grasset) rend hommage à Jean-Claude Servan-Schreiber, frère du journaliste, héros méconnu et résistant de la Seconde Guerre mondiale auquel Makine n'a eu de cesse de rendre justice. L'Histoire habite cet ambassadeur des lettres françaises à l'étranger qui, comme beaucoup d'auteurs francophones, ne cesse depuis son havre montmartrois de parcourir le monde en suivant ses nombreuses traductions, loin de l'agitation du milieu littéraire hexagonal. Le costume lui ira si bien. Lui qui, dans sa pièce de théâtre Le Monde selon Gabriel (Le Rocher, 2007) - Gabriel Osmonde est son pseudonyme -, dénonçait la cacophonie médiatique qui tue la parole du poète portera sûrement l'épée avec la rigueur passionnée qu'il voue à sa langue d'adoption, et à ce pays auquel il a consacré un essai, Cette France qu'on oublie d'aimer, en 2006 (Flammarion).
La passion ? Elle brûle sous les personnages de ces histoires souvent romantiques, lyriques et parfois violentes : si après Requiem à l'Est, L'Amour humain a déconcerté son fervent lectorat, c'est parce qu'il portait puissamment les violences du XXe siècle en s'ouvrant pendant la guerre d'Angola. Son narrateur-écrivain assiste en Afrique à l'un de ces congrès qui pourraient s'être tenus à Ouagadougou, où l'on vit Makine, du temps où il était membre du jury du Prix des Cinq continents de la francophonie, faire étape. L'écrivain a depuis quitté le jury. Mais retrouvera l'un de ses membres sous les lambris : le merveilleux nonagénaire René de Obaldia, autre « francophone » natif de Hong-Kong. À la Russie chère à la secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d'Encausse, le nouvel académicien garde son amour, porté par une autre passion littéraire : Ivan Bounine, ce Prix Nobel russe (1933), récemment remis en lumière comme potentiel Juste parmi les nations. Andréï Makine lui consacra sa thèse, à la Sorbonne, en 1991, sous un titre qui leur va si bien : « Poétique de la nostalgie ».

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