samedi 19 mars 2016

Alors que le Salon du Livre se poursuit Porte de Versailles, nombreux sont les professionnels qui s'inquiètent pour leur avenir.


NOUVEL OBS LE PLUS 19/03/2016

Alors que le Salon du Livre se poursuit Porte de Versailles, nombreux sont les professionnels qui s'inquiètent pour leur avenir. C'est le cas de Mélanie et Jean Pichinoty, gérants de "La soupe de l'espace", une librairie indépendante installée à Hyères (Var), qui rencontre des difficultés financières. Pour sauver leur commerce, le couple a lancé une campagne de financement participatif. Témoignage.

La librairie "La soupe de l'espace", à Hyières (Crédit : Mélanie et Jean Pichinoty). 

Libraires indépendants à Hyères depuis huit ans, nous rencontrons aujourd’hui des difficultés financières : notre commerce est en danger.

Pour le sauver, nous avons lancé une campagne de financement participatif. C’est notre dernière chance.

Un amour des livres partagé par toute la famille

En couple depuis 13 ans, nous étions graphistes lorsque nous avons décidé d’ouvrir notre librairie. Ce choix, nous l’avons fait après la naissance de notre fils, aujourd’hui âgé de 11 ans.

Tout petit, il avait déjà une vraie relation avec les livres. Étant nous-mêmes passionnés par le graphisme et la littérature, nous nous sommes lancés dans cette aventure, avec une spécialisation : celle du livre jeunesse. C’est de cette façon qu’en 2008, "La soupe de l’espace", notre librairie indépendante, est née.

Nous revendiquons cette indépendance, car elle nous permet de faire de vrais choix éditoriaux : notre librairie n’est pas un "simple" commerce de livres, même si nous n'oublions pas les réalités économiques.

Des marges commerciales très minces

Ces mêmes réalités nous ont rattrapés en 2012. Cette année-là, Mélanie est tombée gravement malade et nous avons dû lâcher brusquement la librairie.

Jusqu’à aujourd’hui, nous avions réussi à remonter la pente, mais la chute du chiffre d’affaires en salon due à des conditions climatiques catastrophiques, les coupes drastiques dans les budgets des collectivités locales, les agios, les frais bancaires qui s’accroissent de manière dramatique et le découvert dans lequel nous sommes plongés, ont accentué nos difficultés.

Pourtant, d’un point de vue purement comptable, notre librairie est saine. Les bilans sont bons : au 31 décembre 2014, nous avions réalisé 540.000 euros de chiffre d’affaires, un résultat en constante augmentation depuis notre ouverture en 2008.

Le problème, c’est que les marges commerciales avec lesquelles nous manœuvrons sont très minces. Il suffit d'une chute de 20% du chiffre d’affaires sur quelques mois pour voir la situation se détériorer rapidement, ou que les collectivités tardent à vous régler pour être un peu plus dans le rouge.

1.000 euros chacun et nos employées sont payées au SMIC

Nos difficultés sont également dues à des erreurs de gestion. Dans le milieu du livre, lorsque votre chiffre d'affaires chute considérablement et que vous n’arrivez pas à rectifier le tir, vous payez cela très cher.

Pourtant, nous ne faisons aucun excès : nous nous rémunérons seulement 1.000 euros chacun et nos employées sont payées au SMIC.
  
Les explications sont donc assez paradoxales et parfois difficiles à comprendre : les commandes des collectivités avec lesquelles nous travaillons se sont intensifiées au fil des années, augmentant notre chiffre d'affaires, mais fragilisant notre trésorerie, à cause notamment des remises consenties supplémentaires ou des délais de paiements administratifs longs.

Mais notre situation est également le résultat d’une accumulation de petits détails, comme un stock qui ne correspond pas à ce que la situation exige, par exemple. Lorsque vous achetez beaucoup plus de livres que vous n'en vendez, vous mettez en péril un équilibre déjà fragile.

Notre banque ne veut plus nous suivre

À cause de toutes ces difficultés, nous avons récemment reçu un appel de notre banquier, qui nous a annoncé qu’il ne pouvait plus nous suivre.

Nous ne voulons pas jeter l’opprobre sur le système bancaire, mais lorsque tout va bien, il est derrière vous. Par contre, dès que vous commencez à devenir fragile et que vous peinez à remonter la pente du découvert, il ne vous suit plus. Les agios commencent à tomber et vous font vite sombrer.

Nous ne sommes pas les seuls à faire face à ces problématiques. De nombreuses librairies sont, comme nous, dans des situations périlleuses et précaires.

Souvent, cela est dû à des difficultés au niveau de la trésorerie.

Tablettes, smartphones et Amazon

Le coût de la production éditoriale est encore incroyablement élevé, même si de nombreux éditeurs font de sérieux efforts. Les loyers prohibitifs contribuent également à pousser certaines librairies à baisser le rideau prématurément.

Il faut aussi savoir que la librairie est le commerce qui souffre de la plus petite marge bénéficiaire nette, loin derrière les magasins d'électro-ménager !

Évidemment, l’arrivée des tablettes, des smartphones et des sites comme Amazon n'ont pas arrangé la situation... À celles et ceux qui pensent encore que ce site de vente en ligne est un grand employeur, je leur réponds que cette multinationale détruit 18 fois plus d'emplois qu'elle n'en crée. Et qu'elle doit encore des centaines de millions d'euros à l'État en arriérés fiscaux.

La solidarité peut-elle réussir là où le système bancaire échoue ? 

Face à toutes ces problématiques, les librairies tentent de survivre. Mais pour cela, elles ont besoin d’aide.

De meilleures conditions commerciales auprès des fournisseurs sont nécessaires, de même qu’une loi concernant l'encadrement des loyers à un niveau professionnel, pour éviter que cette spéculation épouvantable qui draine nos trésoreries continue.

Nous avons déjà songé à tout laisser tomber : nous ne pourrons pas tout sacrifier sur l'autel de la librairie, aussi merveilleux soit cet univers. Le vivant vaudra toujours plus que tout le matériel, même si nous sommes persuadés que les livres font de nous des hommes et des femmes meilleurs.

Mais aujourd'hui, nous nous battons pour construire de meilleurs lendemains. Cette campagne de financement participatif, c’est la dernière chance que nous donnons à la librairie.

Nous souhaitons que les internautes prennent ce combat à bras-le-corps, car il est question certes de sauver notre librairie et des emplois locaux, mais aussi de prouver que la solidarité peut réussir là où le système bancaire a échoué.


Propos recueillis par Anaïs Chabalier.

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