Le Mag LA MONTAGNE 28/02/16
Nos nouvelles régions doivent
avoir à peu près un an, je pense ? Mince prétexte, j’en conviens, pour
en reparler ici, mais tant pis. L’idée m’en est venue en considérant
l’autre jour (je ne sais même plus où ni pourquoi) une carte de ces
nouveaux pays.
Et non pas pour revenir sur leur périmétrage et les débats
auxquels il a donné lieu (encore que je me demande bien en quoi un
habitant de Bayonne peut se sentir de la même région qu’un natif de
Limoges). Non ; mais devant ces PACA, ALCA, LRMP et autres acronymes, je
me disais que les mots que nous employons – et aussi les noms, en
l’occurrence – changent la conscience que nous avons d’un pays, la
couleur qu’il revêt dans notre imagination. Les instances touristiques
s’en préoccupent, d’ailleurs, et le Centre a gagné de haute lutte le
droit de s’appeler aussi Val-de-Loire.
Oui, les mots forgent le réel. On est passé il y a belle lurette de la première définition du mot « région » (territoire possédant des caractères physiques et humains particuliers) à une autre : unité territoriale administrative. Ce changement d’acception est un phénomène historique. Ce n’est pas nouveau, mais quand on voit Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes dans le même sac, cela fait drôle. Il suffit d’aller s’y promener pour voir que ce ne sont pas les mêmes pays. La désignation moderne tend à effacer l’histoire ; ou du moins, à la rétrocéder aux offices de tourisme.
La France était jadis pleine de toponymes qui sentaient la forêt, la terre, le vin ou la marée, nous suggéraient des bocages, des montagnes ou des torrents. Où sont allés la Brenne, l’Aunis, le Hurepoix ? La Bigorre et le Venaissin ? Puis la Révolution inventa les départements. On eut le temps de s’y faire. C’était joli à dire, la Côte-d’Or, le Maine-et-Loire ou les Landes. Et cela gardait une relation explicite avec les lieux désignés.
La question
peut d’ailleurs être élargie aux notions géographiques elles-mêmes. On
ne dit plus guère « provinces », un mot qui fleure l’Ancien Régime.
Quant à « la » province, terme que Balzac employait sans vergogne, il
paraîtrait aujourd’hui méprisant. On dit : en régions. « Ici, en région
PACA… » (à prononcer avec l’accent de Marseille). Et à la météo, on
annonce le temps qu’il fera « sur les régions ». D’ailleurs, nos
ministres emploient désormais couramment une autre expression : « les
territoires ». Ce qui me donne toujours le vague sentiment qu’ils n’y
ont jamais mis les pieds. Il est vrai qu’on ne peut pas être à l’ENA et
au moulin…
Le « terroir » garde toute sa faveur, à cause, je pense, de la gastronomie. Mais qu’est devenue la « contrée », terme un peu mystérieux, que les Romains employaient pour désigner les endroits où ils n’étaient pas encore allés (contrata regio) ? Les écrivains en forgèrent d’autres. Alexandre Vialatte s’amusa à disserter sur « la notion géographique de l’environ », et l’on sait tout le parti qu’a tiré Marcel Proust de celle de « côté » (le côté de Guermantes).
Plus populaire était le « coin ». « Les gens du coin ». Ils n’habitaient pas les territoires, ceux-là ! Il y avait aussi une expression proverbiale qui me fascinait quand j’étais enfant : être « bien de son pays ». Si l’on disait de quelqu’un, avec un air de commisération, « il est bien de son pays !…. », cela voulait dire qu’il était trop gentil, qu’il se faisait avoir, et je me demandais quel était ce pays d’où provenaient les bonnes poires et les dupes.
Tout change. Notre monde est devenu technicien, rationnel, gestionnaire. Et quelque chose me dit que la ville et la campagne elles-mêmes n’en ont plus pour très longtemps. Le bon Jean de La Fontaine, sans doute, intitulerait aujourd’hui sa célèbre fable « Le rat des zones urbanisées et le rat de la ruralité ».
Oui, les mots forgent le réel. On est passé il y a belle lurette de la première définition du mot « région » (territoire possédant des caractères physiques et humains particuliers) à une autre : unité territoriale administrative. Ce changement d’acception est un phénomène historique. Ce n’est pas nouveau, mais quand on voit Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes dans le même sac, cela fait drôle. Il suffit d’aller s’y promener pour voir que ce ne sont pas les mêmes pays. La désignation moderne tend à effacer l’histoire ; ou du moins, à la rétrocéder aux offices de tourisme.
La France était jadis pleine de toponymes qui sentaient la forêt, la terre, le vin ou la marée, nous suggéraient des bocages, des montagnes ou des torrents. Où sont allés la Brenne, l’Aunis, le Hurepoix ? La Bigorre et le Venaissin ? Puis la Révolution inventa les départements. On eut le temps de s’y faire. C’était joli à dire, la Côte-d’Or, le Maine-et-Loire ou les Landes. Et cela gardait une relation explicite avec les lieux désignés.
Le « terroir » garde toute sa faveur, à cause, je pense, de la gastronomie. Mais qu’est devenue la « contrée », terme un peu mystérieux, que les Romains employaient pour désigner les endroits où ils n’étaient pas encore allés (contrata regio) ? Les écrivains en forgèrent d’autres. Alexandre Vialatte s’amusa à disserter sur « la notion géographique de l’environ », et l’on sait tout le parti qu’a tiré Marcel Proust de celle de « côté » (le côté de Guermantes).
Plus populaire était le « coin ». « Les gens du coin ». Ils n’habitaient pas les territoires, ceux-là ! Il y avait aussi une expression proverbiale qui me fascinait quand j’étais enfant : être « bien de son pays ». Si l’on disait de quelqu’un, avec un air de commisération, « il est bien de son pays !…. », cela voulait dire qu’il était trop gentil, qu’il se faisait avoir, et je me demandais quel était ce pays d’où provenaient les bonnes poires et les dupes.
Tout change. Notre monde est devenu technicien, rationnel, gestionnaire. Et quelque chose me dit que la ville et la campagne elles-mêmes n’en ont plus pour très longtemps. Le bon Jean de La Fontaine, sans doute, intitulerait aujourd’hui sa célèbre fable « Le rat des zones urbanisées et le rat de la ruralité ».
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire