La bibliothèque du Louvre (Ier)
vit ses derniers jours. Elle fermera définitivement ses portes ce jeudi
après-midi. Les ouvrages seront transférés à la médiathèque de la
Canopée dont l’ouverture est prévue au printemps. Une fermeture regrettée par Jean-François Legaret, le maire (LR) du Ier : « Pendant trois mois, nous vivrons avec zéro bibliothèque dans l’arrondissement ! » Au cabinet de Bruno Julliard, adjoint (PS) à la maire de Paris,
on avait expliqué cette situation par le retard pris dans l’ouverture
de la médiathèque. Les habitués pourront rapporter leurs livres dans
leur bibliothèque jusqu’à 16 heures ce jeudi, puis dans les
bibliothèques Charlotte-Delbo, Arthur-Rimbaud et Marguerite-Audoux les
jours suivants.
Stèle à la mémoire d'Anne Frank, sur le site du camp de Bergen-Belsen, en Allemagne, le 21 juin dernier.Photo Nigel Treblin. AFP
Le «Journal» d'Anne Frank sera-t-il dans le domaine public vendredi ?
L’histoire aurait pu être simple, relever de
l’évidence, même. Nous aurions, dans deux jours, pu célébrer comme il se
doit l’entrée du célèbre Journal d’Anne Frank dans le domaine
public. Une occasion rêvée pour se remémorer l’importance de l’œuvre de
la jeune diariste décédée en 1945 à Bergen-Belsen. Le droit d’auteur est
ainsi fait que c’est le 1er janvier de chaque année que de
nombreuses œuvres entrent – s’élèvent, insistent certains – dans le
domaine public. Soixante-dix ans après la mort de l’auteur, ce qu’il a
produit devient un bien commun et, à ce titre, personne n’a plus le
droit de demander une contrepartie financière pour son utilisation ou sa
diffusion. Ainsi, le 1er janvier 2016, pour les écrits de
Paul Valéry, d’Adolf Hitler, de Franklin Roosevelt, et, donc, d’Anne
Frank. Mais le Fonds Anne Frank, fondé en 1963 à Bâle par le père de la
jeune fille, Otto Frank, et qui détient des droits patrimoniaux du Journal,
n’est pas de cet avis et considère qu’aucune des deux versions qui
existent (celle expurgée par son père publiée en 1947, et la version
intégrale publiée en 1986) ne sera concernée par le domaine public en
2016. C’est là que ça se complique.
Début octobre, Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information connu pour son blog affordance.info, publie une lettre à Anne Frank dans laquelle il s’émeut avec des mots très justes qu’il faille «attendre
un siècle après la mort d’une jeune femme juive de 16 ans dans un camp
de concentration pour que son témoignage, son journal, son œuvre, puisse
entrer dans le domaine public». Il décide à la suite de ce texte
de mettre en ligne les deux versions du texte, tout en sachant qu’il
s’agissait alors d’un acte illégal. Son geste ne passe pas inaperçu (lire Libération du 8 octobre) et de nombreuses personnes lui emboîtent le pas et mettent aussi à disposition le texte sur leur site. Parmi elles, Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne du Calvados. Un mois plus tard, suite à une mise en demeure du Livre de Poche,
Olivier Ertzscheid retire les fichiers de son site : il s’agissait des
versions en français qui restent protégées par le droit des traducteurs.
Mais il maintient ses propos et assure, tout comme Isabelle Attard,
qu’il mettra en ligne le texte en version originale néerlandaise le 1er janvier 2016.
Il aura fallu attendre cette semaine, à quelques jours de
la date fatidique, pour que le Fonds Anne Frank réagisse. Le maître de
conférence et la députée ont ainsi reçu chacun un joli courrier des
avocats du Fonds. Le premier a publié le sien sur son site. La lettre commence par rappeler sa position sans équivoque concernant l’entrée dans le domaine public du Journal :
ce ne sera pas avant plusieurs années. Mais c’est la suite qui retient
l’attention : le courrier liste plusieurs injonctions auxquelles Olivier
Ertzscheid doit se conformer dans les cinq jours : renoncer à la mise
en ligne de quelque version que ce soit du Journal d’Anne
Franck, expliquer sur son blog qu’il n’avait pas bien compris les
tenants et les aboutissants de l’affaire, informer tous les médias avec
qui il a été en contact du fait qu’il a reconsidéré son geste et
transmettre à l’avocat des preuves de ces contacts. Et le courrier de
préciser qu’il devra s’acquitter de 1 000 euros par jour et par
injonction non suivie.
«Je m’étonnais de ne pas avoir de leurs nouvelles,
surtout depuis les quinze derniers jours, suite à la parution d’un
article sur le sujet dans le New York Times, explique Olivier Ertzscheid. Leur courrier, c’est avant tout une approche d’intimidation, à l’anglo-saxonne.» Il prend cependant la chose au sérieux :
«Ce n’est pas mon objectif de devenir un martyr de la cause. Mais quoi
qu’il arrive, je vais continuer à défendre l’entrée dans le domaine
public du texte d’origine en version originale. Et s’il le faut, je suis
prêt à assumer et à le mettre en ligne, en espérant que je ne sois pas
le seul.» Il ne le sera pas, puisque du côté d’Isabelle Attard, le discours est tout aussi résolu. «Je n’ai encore rien fait, et je reçois déjà des menaces, s’amuse-t-elle. Ils
m’expliquent que c’est une honte de faire ça en tant que parlementaire,
que c’est comme si j’avais incité les gens à abîmer la voiture de
quelqu’un. C’est à se demander s’ils sont vraiment avocats. Dans leurs
explications, ils ne cessent de sortir de la loi pour rentrer dans le
pathos. Je mettrai bien le texte en ligne dans les premiers jours de
janvier.»
La députée insiste sur l’importance de la portée symbolique ce ce geste :
«Le journal est extrêmement important à mes yeux, et le priver de
domaine public, c’est dommageable pour la mémoire d’Anne Frank. Le
domaine public permettra à la Terre entière d’en faire des choses
bénéfiques pour tout le monde.» Olivier Ertzscheid, de son côté, pointe un autre symbole : «Le 1er janvier 2016, l’histoire fait que plein d’œuvres antisémites, dont Mein Kampf, entrent elles aussi dans le domaine public. Il est aberrant que le Journal d’Anne Frank ne soit pas là pour contrebalancer ça.» Mais ça ne suffira malheureusement pas à convaincre les ayants droit. Le maître de conférences admet : «Quoiqu’il arrive, le débat ne pourra être définitivement tranché que par un juge.»
Et ce dernier aura du boulot. Il lui faudra en effet décider quelle interprétation du droit d’auteur s’applique pour le Journal d’Anne
Frank. Face à la règle des soixante-dix ans après la mort de l’auteur,
le Fonds entends appliquer celle des soixante-dix ans après la mort
d’Otto Frank en 1980 pour la version retravaillée, et la règle qui avait
court en 1986 pour le texte intégral, à savoir cinquante ans après la
date de publication. Ce qui nous emmène respectivement en 2050 et en
2036.
inShare4L’idée d’une bibliothèque infinie est imaginée pour la première
fois par le mathématicien et écrivain allemand Kurd Lasswitz. Dans sa
nouvelle « La bibliothèque universelle », parue en 1904, soit
quelques années avant sa mort, Lasswitz imagine une bibliothèque pouvant
contenir toutes les œuvres possibles de l’humanité. Raisonnant en bon
mathématicien, il sait que les combinaisons de tous les caractères de
l’alphabet aboutissent à un nombre fini.
Jorge Luis Borges, écrivain argentin du XXe siècle, s’en inspire et publie en 1941 une de ses plus célèbres nouvelles, « La bibliothèque de Babel ».
La bibliothèque de Babel est une bibliothèque univers, c’est-à-dire
qu’elle est tellement grande qu’elle contient tous les textes possibles
et imaginables, sa taille constitue un défi à l’imagination humaine.
La bibliothèque du vertige
Combien de livres contient-elle exactement ? Un nombre colossal. Pour
le comprendre, il faut préciser le « fonctionnement » de la
bibliothèque : selon Borges, chaque livre qu’elle possède contient 410
pages et chaque page contient 40 lignes de texte, elles-mêmes composées
de 80 caractères chacune. Chaque livre contient donc 1 312 000
caractères et utilise toutes les lettres de l’alphabet (26 lettres),
plus l’espace, la virgule et le point, ce qui porte à 29 le nombre de
signes différents utilisables.
La bibliothèque comporte donc 291 312 000 livres (29
multiplié par lui-même 1 312 000 fois), ce qui donne un nombre composé
de près de deux millions de chiffres. Pour prendre la mesure d’un tel
nombre, l’imprimer requerrait 500 pages A4, remplirait un roman de 1 100
pages en format de poche et, écrit en ligne droite, mesurerait environ
354 kilomètres de long.
La place que prendrait une telle bibliothèque donne le tournis. Si l’on imagine qu’un livre occupe un volume de 3 000 cm3,
et si l’on part du postulat que l’univers observable est une sphère de
46 milliards d’années-lumière de rayon (ce qui est une approximation
rapide, mais passons), de rapides calculs indiquent que l’on peut
stocker dans cet univers environ 2,8 × 1050 livres. Si elle
existait, la bibliothèque imaginée par Borges remplirait non seulement
l’univers tout entier, mais en nécessiterait beaucoup plus. Combien ?
Environ 101 918 616, ce qui constitue un nombre à peu près aussi grand que celui mentionné plus haut. Vertigineux, non ?
L’infini (ou presque) permis par le numérique
Tellement vertigineux que l’idée même qu’une telle bibliothèque
existe est longtemps restée au stade d’utopie et dans l’imagination de
Jorge Luis Borges et de ses lecteurs. Pourtant, à défaut d’exister
physiquement, la bibliothèque existe aujourd’hui numériquement. Créée par Jonathan Basile, libraryofbabel.inforeproduit (presque) exactement le fonctionnement de la bibliothèque
décrite par Jorge Luis Borges. Fidèle à la nouvelle parue en 1941, la
bibliothèque numérique est organisée en pièces hexagonales identiques,
dont 4 des murs abritent des livres sur cinq étagères chacun.
Une pièce hexagonale de la bibliothèque de Babel telle que l'a créée Jonathan Basile.
Chaque étagère comporte 32 livres de 410 pages chacun. Et chaque page
de chaque livre, de chaque étagère, de chaque pièce est accessible.
L’immense majorité de ces pages renferment des suites incompréhensibles
de caractères. Pourtant, parmi ces milliards et milliards de pages, se
trouvent forcément des livres que vous avez lus. Ces pages contiennent
pratiquement tout : vous y trouverez aussi bien les aventures de votre
héros de roman préféré que le manuel d’utilisation de votre aspirateur,
les évangiles de la Bible ou les versets du Coran, les articles de
l’Encyclopédie de Diderot, les poèmes de Shakespeare, toutes les pages
de votre journal intime, toutes les théories mathématiques jamais
écrites, tous les secrets, tous les rêves, tous les récits et tous les
noms, même votre nom et votre histoire, existent déjà dans l’immensité
de la bibliothèque de Babel.
Parmi ces pages inexplorées se trouve aussi tout ce qui n’a jamais
été écrit mais qui le sera peut-être un jour. Combien de chefs-d’œuvre
de littérature inconnus ou futurs se cachent dans cette bibliothèque ?
Les proses à venir d’un futur Rimbaud s’y trouvent déjà, tout comme les
prochains romans de Michel Houellebecq. Même cet article, ces lignes y sont déjà écrites.
La bibliothèque créée par Basile est différente de celle imaginée par
Borges en cela qu’elle ne contient pas tous les livres possibles mais
seulement toutes les pages possibles. La bibliothèque contient donc
environ 4,7 × 104 679 pages différentes, réparties dans 104 677 livres.
Bien sûr, la bibliothèque contient tellement d’information qu’il
serait impossible de la stocker numériquement. Le contenu de la
bibliothèque est généré à partir d’un algorithme spécial créé par
Jonathan Basile. Chaque page a un numéro unique qui lui est propre et
qui l’identifie dans la bibliothèque. L’algorithme utilise ensuite ce
numéro de page pour générer un nombre pseudo-aléatoire unique qui est
lui-même converti en base 29, c’est-à-dire en texte utilisant les 29
signes cités précédemment : le texte de la page est généré. Le même
numéro de page créera donc la même page à chaque fois.
L’opération inverse est possible : à partir d’un texte, l’algorithme
peut retrouver le numéro de la page le contenant et donc la
« localisation » de la page. En quelque sorte, le contenu de la page est
prédéterminé et existe déjà, certes perdu dans la gigantesque botte de foin de cette bibliothèque, mais bel et bien réel.
Tout ce que vous écrirez ou pourriez écrire est déjà là, quelque part. Il suffit juste de chercher. Gary Dagorn
Le
bureau de la Société des Rédacteurs de "L’Obs" dénonce fermement
l’expulsion d'Ursula Gauthier et rappelle que la liberté d’expression et
celle de la presse sont des principes non négociables, que la France
doit défendre à tout prix.
Ursula Gauthier, correspondante de l'"Obs" en Chine GREG BAKER / AFP
Le
bureau de la Société des Rédacteurs de "L’Obs" dénonce fermement
l’expulsion de notre journaliste correspondante en Chine, Ursula
Gauthier. Il s’indigne aussi de la réaction laconique et peu convaincante des autorités françaises face à cette décision, qui constitue pourtant une atteinte grave à la liberté d’expression et au devoir d’informer. Dans son communiqué,
le Quai d’Orsay "regrette", mais ne condamne pas, "que le visa de
Madame Ursula Gauthier n’ait pas été renouvelé". Il rappelle, mollement
seulement, "l’importance que les journalistes puissent exercer leur
métier partout dans le monde".
Ursula Gauthier est la première
correspondante à faire l’objet d’une telle mesure depuis l’expulsion de
Chine en 2012 de Melissa Chan, correspondante du service anglais de la
chaîne Al Jazira. Une décision qui fait suite à un article publié sur le site de "L’Obs" le 18 novembre dernier.
Notre correspondante y rendait compte de la répression infligée par le
pouvoir, sous couvert de lutte contre le terrorisme international, à la
minorité Ouïghoure au Xinjiang.
Raconter, dénoncer ce qui vaut la prison à des universitaires ou avocats en Chine
est notre devoir. Pour reprendre les mots d’Ursula Gauthier, "il est
crucial de dire ce qui se passe au Xinjiang comme on l’a fait pour la
Tchétchénie et la Russie".
Les dirigeants français ont tort de ne
pas s’émouvoir plus de cette expulsion, qu’il faut voir comme la
manifestation d’une volonté de mise au pas de la presse internationale,
par un pays qui n’est autre que la deuxième puissance du monde. La
liberté d’expression et celle de la presse sont des principes non
négociables, que la France doit défendre à tout prix. Le bureau de la Société des Rédacteurs de L'Obs
Après
« Vu à la TV », « Vu sur YouTube ». Pour vendre leurs produits, les
marques n’hésitent jamais à nous rappeler leur notoriété. Même principe
dans l’édition où les noms des auteurs les plus connus sont inscrits en
gros sur un bandeau.
Mais avec l’arrivée des nouveaux auteurs issus du
Web, d’autres arguments sont mis en avant. Ina Mihalache, plus connue
sous le nom de Solange te parle, sort un
livre début janvier aux éditions Payot. Sur le petit bandeau rouge qui
barre la couverture, on peut lire : « 15 millions de vues sur YouTube ».
Les éditions Payot ne sont pas les premières à user de ce procédé :
La Martinière a fait de même pour « Girl
Online » de la youtubeuse beauté anglaise Zoe Sugg, en
précisant « 7 millions de fans sur YouTube ».
En novembre, les éditions Marabout sortaient « Prenez le temps
d’e-penser », premier livre de Bruce Benamran, youtubeur également, qui a
pour habitude de vulgariser la science sur ses vidéos. En bandeau, une
citation de L’Expansion, « Bruce, le Français qui rend la science plus
populaire que les chatons de YouTube », sans oublier la petite précision
« déjà plus de 500 000 fans ».
« Ce n’est pas un signe de valeur, c’est le signe que c’est là que ça se passe »
Pour Christophe Guias, directeur littéraire des éditions Payot :
« Le bandeau est une accroche, il fait
partie du dispositif pour séduire l’acheteur. On cherche un
positionnement et on pense à ce qui va attirer. L’auteure étant
identifiée sur YouTube, c’était plus clair comme ça. »
Et lorsque l’on voit le succès de certaines stars du Web, pas étonnant que les maisons d’éditions cherchent à s’en emparer.
« Vous voyez plein de maisons d’éditions
qui se sont ruées sur les personnalités d’internet, avec comme point
d’appui le fait qu’elles soient sur YouTube. »
Pour ce qui est des autres livres, les bandeaux plus classiques restent.
« Nous publions en février le texte de
la pièce “Maligne” de Noémie Caillault et ce que nous avons choisi de
mettre en avant sur le bandeau est une phrase de Daniel Pennac sur
elle. »
Dès 2011, L’Express annonçait
le débarquement des blurbs, « cette brève phrase signée d’un grand
écrivain qui figure sur la couverture ou le bandeau rouge du livre d’un
de ses confrères, en général moins connu », toute une histoire
d’industrie marketing en découlait. Des « blurbeurs frénétiques » au
« blurb à contre-courant », peu importe la petite phrase de l’auteur
connu pourvu qu’il y en ait une sur le bandeau rouge.
Le prix du bandeau
Car c’est qu’il a de l’importance ce demi-emballage – et même de la valeur, en témoigne cette annonce de PriceMinister proposant un bandeau d’occasion pour 5,90 euros.
L’année dernière, Sylvie Ducas, maître de conférence
en littérature française et en sciences de l’information et de la
communication à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense, s’intéressait aux bandeaux rouges lors d’une conférence. Pour la chercheuse :
« La démultiplication des bandeaux rouges va de pair avec une dissémination des formes de la prescription littéraire. »
Les prix littéraires ne sont plus que « de simples
labels répondant à une logique commerciale » laissant place au « sacre
des lecteurs ». Internet en est le principal initiateur, « envahi par
des prix extrêmement commerciaux, mais aussi des prix plus alternatifs
avec des livres qui, de façon délibérée, ne sont pas de la rentrée
littéraire (exemple du prix Biblioblog) ».
Reste encore à s’en amuser, comme l’a fait
cet été la librairie Chantelivre à Paris. Pour égayer sa vitrine, la
boutique spécialisée dans la littérature jeunesse a joué au rapport de
disjonction en plaçant des bandeaux de livres « sérieux » sur ses livres
pour enfant.
Pour pousser l’amusement plus loin et vous essayer à
l’exercice, ou tout simplement si « vous souffrez du regard méprisant
des autres passagers sur la couverture du livre que vous lisez dans les
transports en commun », vous pouvez toujours créer votre propre bandeau
sur Babelio.
Ce mois-ci, Xavier Houssin évoque les allers-retours dans le temps, chers à de nombreux auteurs.
Fin d’année? Bah… Nos vies ne sont que du passé. Il
nous a envahi dès la naissance, ne laissant au présent qu’une part
vacillante. Nous séjournons dans les souvenirs sans nous en rendre
compte. Fantômes de nous-mêmes, nous nous croisons sans cesse, au hasard
d’une rue, d’un paysage. Dans des lieux que nous avons traversés, où
nous avons été heureux. Ou pas.
On y salue l’enfant que nous étions et dont les rêves, d’un coup, se
réveillent en nous. Ou le jeune homme, la jeune femme, au cœur gonflé
d’une attente qui nous fait un peu sourire. Et d’autres figures de nous,
encore, avec tous ceux qui les accompagnent.
La littérature se nourrit de ces allers-retours. De ces explorations
de la mémoire, avec ses mystères, ses hésitations, ses lacunes à
combler. Didier Blonde est l’écrivain de ces voyages dans le temps. Ses
livres sont hantés par les spectres, figures souvent inconnues de
l’autrefois, qu’il suit à la trace, qu’il accompagne, déchiffrant avec
une patience de chartiste leurs existences oubliées. Il a ainsi ramené à
lui Suzanne Grandais, la star française du muet (Un amour sans paroles, Gallimard, 2009) ou cette noyée de 1901 au masque mortuaire angélique qu’Aragon appelait « la Joconde du suicide » (Le Nom de l’inconnue, Régine Deforges, 1988, réédité L’inconnue de la Seine, Gallimard, 2013).
Aujourd’hui, avec Leïla Mahi 1932 (1), il mène une autre
«enquête». Le titre reprend une inscription gravée sur une plaque
funéraire découverte dans les allées du colombarium du Père-Lachaise.
Case 5011. Sur la photo placée en médaillon Didier Blonde est happé par «deux
grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques,
qui me fixent, m’attirent irrésistiblement, comme une phalène». Le
voilà parti dans une investigation où les impasses succèdent aux
friches. Découragements. Persévérance. Le texte est troublant. On finit
par apprendre que Leïlah Mahi, morte à 42 ans, était l’auteur de deux
romans. Ah, ces romanciers, ces poètes disparus que l’on aimerait
relire ! Le Canadien François Ouellet, grand spécialiste des «méconnus»,
vient de leur consacrer un recueil. Les années qui passent sont des
années-lumière.
(1) Gallimard, 128 p., 15 €.
Contre l’oubli : vingt écrivains français du XXe siècle à redécouvrir de François Ouellet, éditions Nota Bene.
DISPARITION
- L'écrivain, prix Goncourt de la poésie en 2007 et proche d'André
Breton et de Louis Aragon, est décédé dimanche à l'âge de 87 ans. Il
laisse derrière lui plus d'une centaine d'ouvrages.
Le poète surréaliste Alain Jouffroy, proche
entre autres d'Aragon et prix Goncourt de la poésie en 2007, est mort
dimanche 20 décembre à l'âge de 87 ans, a-t-on appris auprès de ses
proches. L'écrivain s'est éteint à l'hôpital Saint-Louis à Paris où il
était hospitalisé depuis deux semaines.
Également romancier,
essayiste, critique d'art, directeur de revue et éditeur, Alain Jouffroy
est l'auteur de plus d'une centaine d'ouvrages. Il avait été de toutes
les avant-gardes, qu'elles soient littéraires ou artistiques.
Né à
Paris en 1928, admirateur d'Henri Michaux, il a été un grand témoin et
un acteur important de la vie intellectuelle de la deuxième moitié du
XXe siècle. Lié au mouvement surréaliste (malgré une brouille avec André
Breton qu'il défendra cependant toute sa vie), il se lia d'amitié avec
des artistes comme Victor Brauner et le Chilien Roberto Matta. Il fut
l'un des principaux introducteurs en France, au début des années 1960,
du Pop Art, des écrivains de la Beat Generation, dont il publia une
anthologie dès 1965, sans oublier les «Nouveaux réalistes» dont il prit
fait et cause. En 1966, il participe à la création de la collection de
poche «Poésie» chez Gallimard, qui rendra les grands poètes accessibles
au plus grand nombre. D'ailleurs, en 2005, une anthologie de ses poèmes
est parue sous le titre C'est aujourd'hui toujours (1947-1998).
Défenseur de la liberté d'expression
Artiste
à la fois engagé et réfractaire à toute forme d'embrigadement, il fut à
l'origine, durant la guerre d'Algérie des manifestations «Anti-procès» à
Paris, à Venise et à Milan pour la défense de la liberté d'expression.
Au cours des années 1970, il publie de nombreux romans, essais, poèmes
et textes critiques sur l'art. Outre Opus International et Connaissance des Arts, il collabore à L'Œil, Quadrum, L'Express, et aux Lettres Françaises, l'hebdomadaire dirigé par Aragon (de 1968 à sa disparition en 1972).
Parmi les titres qu'il a publiés, on pourra citer Arthur Rimbaud et la liberté libre, La vie réinventée: l'explosion des années 20 à Paris, Calder, l'impossible réalisé et son dernier recueil de poésie paru: Être-avec, en 2007. L'année précédente, il avait publié un long poème inspiré de Dante (Trans-Paradis-Express),
où l'on pouvait lire: «Que leur amour demeure/Dans le lieu déserté de
leurs accords de corps,/Et qu'on ne supprime pas d'un trait le désir
d'union». L'éternel «révolté contre les absences de révolte» est parti
rejoindre ses amis, ceux qui étaient persuadés que le rêve est une autre
forme de réalité.
"Au bonheur des listes" est un recueil passionnant, poétique et drôle
qui rassemble 125 listes glanées à toutes les époques chez les auteurs
les plus divers.
« Ne point épouser une jeune femme. Ne point fréquenter les jeunes
gens, à moins qu'eux-mêmes ne le désirent. N'être point chagrin, ni
morose, ni défiant. Ne point mépriser les us du présent. Ne point redire
encore et encore la même histoire aux mêmes personnes. » Tels sont les
conseils qu'à 32 ans (quelque vingt-cinq ans avant ses Voyages de Gulliver),
Jonathan Swift s'adresse à lui-même, pour « quand [il sera] vieux ».
Ces règles (la dernière, peut-être la plus sage, est de « ne point
décréter » de les observer toutes, de crainte de n'en observer aucune)
figurent en 56e position dans Au bonheur des listes de Shaun Usher (éditions du Sous-Sol), rédacteur britannique passionné d'archives insolites. Après Au bonheur des lettres,
qui rassemblait les missives d'inconnus et de célébrités, il se penche
cette fois sur la curieuse manie de la liste, ce besoin universellement
partagé, dit-il, d'« étiqueter, prioriser, ranger et rationaliser ».
La plus ancienne date de 1250 av. J.-C. et recense les justifications d'absence au travail des ouvriers de l'Égypte antique (« a bu avec Khonsu », « bâtit sa maison », « malade », « a brassé de la bière »). Plus loin, Michel-Ange
griffonne une liste de courses : « deux pains, un pichet de vin, un
hareng, des tortellini », et l'illustre pour sa domestique analphabète. Léonard de Vinci
note les « sujets à étudier » (l'éternuement, le bâillement, le
spasme), Fitzgerald ses « sujets d'inquiétude ». Roald Dahl invente
l'improbable dictionnaire de son Bon Gros Géant, Mark Twain, dans
une parodie de livre sur l'étiquette, dresse à l'attention des
gentlemen l'ordre de sauvetage à suivre en cas d'incendie d'une pension
(de la fiancée à la belle-mère, en passant par la cousine, l'invalide,
la jeune veuve et le mobilier) et un journal féminin prodigue, dans
l'Angleterre georgienne, ses conseils aux jeunes dames : « Si vous avez
de jolis pieds, nulle circonstance ne justifie néanmoins de porter des
jupons courts. Si vous avez des doutes à ce sujet, il n'y aura pas de
mal à les porter longs. »
Cette liste des listes, cette compilation des compilations où tous
les soucis humains trouvent forme, est donnée sans ordre apparent, dans
une poésie anarchique. Elle est drôle, étonnante, et belle à la manière
de Lautréamont : « comme la rencontre fortuite, sur une table
d'opération, d'une machine à coudre et d'un parapluie ».
Au bonheur des listes de Shaun Usher, éditions du Sous-Sol, 308 pages
Tous
les vendredis, «Libération» fait le point sur l'actualité du livre
jeunesse. Aujourd'hui, une sélection d'œuvres indispensables, qu'on peut
glisser sans scrupules sous le sapin.
Dès 3 ans
Loup, y es-tu ?
Pour les dix ans de l’album Grand Loup & petit loup,
le «Père Castor» propose une édition collector, grand format. La
jaquette, en se dépliant, devient une toise à colorier et à compléter.
Depuis leurs débuts, les compères inséparables de Nadine Brun-Cosme et
Olivier Tallec ont connu d’autres aventures, mais l’histoire de leur
rencontre reste un perpétuel délice. Il était une fois, donc, un grand
loup noir très au large dans sa solitude parmi les arbres. Un jour,
apparaît un truc bleu dans le lointain. Ce qui s’avère un micro loup
n’est pas dangereux. Il faut juste un peu s’occuper de lui. Non
seulement le grand s’habitue au petit, mais il ne peut plus s’en passer.
Pourquoi, comment, c’est très bien raconté. Quand il est dit que le
petit bleu pose finalement sa tête sur l’épaule du loup noir, on rit
bien, parce que, un loup, surtout dessiné par Olivier Tallec, ça n’a pas
d’épaule. Claire Devarrieux.
Grand Loup & petit loup, le grand album, de Nadine Brun-Cosme et Olivier Tallec. «Père Castor» Flammarion, 32 pp., 18 €.
A ton étoile
A
bord du bateau, le petit garçon en bottes et ciré jaune plonge son
épuisette dans l’eau. Sa maman le surveille tendrement pour qu’il ne se
penche pas trop. Le capitaine, lui, garde l’œil sur l’enfant et sa mère,
et tient la barre. Puis, quand la tempête survient, c’est l’étoile qui
guide l’embarcation à bon port. Mais qui s’occupera de l’étoile ? Le
texte court discrètement d’une page à l’autre pour laisser la part belle
aux dessins splendides. S’y mêlent en grand format la mer toute verte,
les rouleaux d’écume blanche, le gris menaçant de la tempête et le calme
du ciel bleu nuit. C’est un livre sur la bienveillance, la
responsabilité de chacun, la manière dont on prend soin l’un de l’autre
et dont, par gros temps, on surmonte ensemble les obstacles. Un livre
qui donne envie de dégoter, dans le ciel constellé, sa propre étoile.
Pour se sentir protégé mais aussi pour veiller sur elle. Laure Equy.
Je serai toujours là pour toi, texte de Mark Sperring, illustrations de Layn Marlow. Ed. Kaléidoscope, 13 €.
Dès 4 ans
Le samouraï à la peau noire
Une
frégate toutes voiles dehors a remplacé la frêle chaloupe au creux de
la vague. Mais c’est bien au génie de l’estampe Hokusai, à sa «Grande
vague de Kanagawa» et au Japon millénaire que Frédéric Marais rend
(entre autres) hommage dans ce magnifique album. De la plus grande
montagne d’Afrique, le Kilimandjaro, à son alter ego nipponne, le mont
Fuji, on suit l’épopée d’un jeune esclave, marqué au fer comme les
buffles dont il s’occupe, embarqué avec des pirates pour échapper à sa
condition avant de devenir le seul samouraï noir ayant jamais existé.
Anonyme parce qu’asservi, l’élève obtient le droit de se choisir un nom -
Yasuke - et de l’écrire, preuve ultime de son émancipation. Quatre
couleurs seulement (grenat, turquoise, noir et blanc) teintent les pages
de cette histoire vraie, surgie des carnets d’un missionnaire portugais
au Japon au XVIe siècle. Une réussite. Laure Bretton.
Yasuke, de Frédéric Marais. Les Fourmis rouges, 16€50.
Des noms d'oiseaux
Un
bestiaire d’oiseaux? Mouais. Ben en fait, si, c’est super. Les dessins
d’Emmanuelle Walker, une nouvelle illustratrice, sont gais comme tout.
De belles couleurs vives, revigorantes. Et puis, c’est l’occasion de
refaire le point sur les espèces d’oiseaux. On a redécouvert le
colibri, le cacatoès et sa «huppe en éventail». On a bloqué sur
le quetzal, l’oiseau mythique des Mayas, avec ses plumes en brosse. Sur
le jacana aussi, qui paraît-il, ne craint pas les crocodiles… Les
textes sont courts, ils se résument à une petite phrase pour chacun. Et
la dernière page donne le sourire. Marie Piquemal.
Beaux oiseaux, d’Emmanuelle Walker. Ed.Gautier Langhuereau, 56 pages, 16,50 euros. A partir de 4 ans.
La journée de la marmotte
Ne
cherchez pas d’où vient le charme délicieusement désuet qui monte de
tous ces terriers en pleine hibernation sous des montagnes de neige : Par une journée d’hiver
a paru pour la première fois en 1949, aux Etats-Unis. Sur les
illustrations en noir et blanc qui ressemblent à des sérigraphies toutes
douces, les tribus d’ours, marmottes, écureuils et souris ont cet air
si reconnaissable de l’imagerie américaine des fifties. Tout en
rondeur. Leur réveil au premier petit signe de printemps - que l’on ne
découvre qu’à la toute dernière page - met en joie, comme le dit bien
mieux le titre original - «A happy day» - que sa traduction française. Par une journée d’hiver donne envie de se carapater sous un édredon en attendant le retour de la lumière. Et de la couleur. L.Br.
Par une journée d’hiver, Ruth Krauss et Marc
Simont, traduit de l’américain, Ed. Kaléidoscope (Ecole des Loisirs)
Première édition 1949, réédition novembre 2015, 12 €.
Coloriages animés
C’est
sans doute une activité qu’on imagine sans âge, le coloriage. Pratiqué
depuis des lustres, à partir de traits noirs qui forment une princesse
ou un paon, une boîte de crayons de couleurs ou des feutres si l’enfant à
l’âge, et en avant. Déborder pas déborder, du vert sur la feuille de
l’arbre ou du jaune sur le soleil ou, alors, tiens du rouge pour
changer. Le coloriage, c’est de la contrainte en liberté. Mais une fois
les creux remplis de couleurs, c’est fini. Aujourd’hui, les nouveaux
cahiers de coloriage vont au-delà du coloriage. Après avoir posé le
crayon, l’enfant peut animer sa réalisation grâce à une application,
Blinkbook. Il la prend en photo avec sa tablette ou son smartphone, et
son banc de poissons du Cahier sur la mer ou l’oie du Conte d’Andersen s’anime. Les Cahiers de dessin animé
imaginés par Claire Faÿ rajoutent le numérique au coloriage, pour un
petit plaisir supplémentaire, qu’on a vu expérimenté en live par la
petite Daphné. Frédérique Roussel.
Cahier de dessin animé : La mer ou Les Contes d’Andersen, de Claire Faÿ. Editions animée. 17 € 90.
Dès 5 ans
La vérité sur les tapirs
Julien
Baer et Philippe Katerine poursuivent leur fructueuse collaboration
pour enfants, entamée avec le très joli Milanimo, avec un nouveau
livre-CD délicieux. Cette fois, c’est le tapir qui a l’honneur de
l’album, écrit et chanté par Baer et dessiné par Katerine. Car il était
temps de faire taire les mensonges et lieux communs sur ce mammifère
d’Amérique centrale («mais pas seulement»). D’un côté, sept courtes chansons subtiles et délicates en forme de cri d’amour pour «cet animal magnifique» à propos duquel «faut pas croire les journals».
De l’autre, un album qui, alternant dessins en noir et blanc et photos
absurdes, interroge la vie et les mœurs du tapir en créant de joyeux
effets de surprise («Les tapirs aiment se déguiser -Beaucoup», «Tapirs et chevaux ne s’entendent pas - c’est la triste vérité»,
là on ne s’en rend pas compte mais en voyant les photos c’est rigolo,
vous pouvez vous faire une idée dans la vidéo ci-dessous). Et en plus, à
la fin, le lecteur saura comment s’écrit le mot tapir, y compris au
pluriel. Le tout est sans doute assez peu scientifique, mais plutôt
drôle et poétique. Guillaume Launay.
La vérité sur les tapirs, un livre-CD de Julien Baer. Dessins de Philippe Katerine. Actes Sud Junior, 23 €.
Dès 7 ans
Le merveilleux voyage de Nils Holgersson
Nils,
un affreux jojo qui enchaîne les bêtises et tyrannise les animaux de sa
ferme, se trouve un beau jour puni par un lutin : rétréci tout rikiki,
pour constater un peu ce que ça fait de vivre à hauteur de poule, à la
merci de toutes les créatures plus grandes et plus fortes que lui. Nils
apprend à parler aux animaux, enfourche un jars tenté par la migration
en Laponie, et entame aux côtés des oies un long et enrichissant voyage à
travers la Suède... On connaît l’histoire. Le «merveilleux voyage» du
garçonnet scandinave est un classique de la littérature jeunesse publié
pour la première fois en 1906 sous la plume de Selma Lagerlöf.
Flammarion l’a rafraîchi cette automne dans une version réécrite pour
les plus jeunes (à partir de 7 ans), avec de courts chapitres et de très
délicates illustrations dans les tons rouges et bleus. Les six pages
bonus de dessins découpés au laser, comme des dentelles de carton, en
font un très beau livre. Camille Gévaudan.
Le merveilleux voyage de Nils Holgersson, Kochka d’après Selma Lagerlöf, dessins d’Olivier Latyk, Flammarion (Père Castor), 15,50 euros.
Dès 9 ans
David Solomons est super-fendard
«C’est un scandale ! Ç’aurait dû être MOI !»
«Moi», c’est Luke (le vrai héros du livre, véritable condensé de barres
de rire). Un prénom qui ne sort pas de nulle part puisque c’est
également celui du fils de l’auteur, choisi parce que «Je suis ton père,
Luke Skywalker» (rappel aux plus jeunes : Luke Skywalker = Star Wars).
Le Luke du livre s’appelle Luke Parker (deuxième rappel aux plus
jeunes : le vrai nom de Spider-Man est… Peter Parker). David Solomons a
eu l’idée de son roman un matin drôle, à la vue de son fiston en costume
de Superman. David Solomons est Britannique, Ecossais même (rappel aux
plus jeunes : les Britanniques sont les champions du monde de l’humour
et James Bond est écossais). C’est fou ce qui peut se passer (ou pas)
dans une cabane dans les arbres, à Bromley, banlieue de Londres. C’est
là que Luke Parker se goinfre de comics pendant que son frère Zack («Zack,
ce n’est pas un nom, c’est un bruitage. C’est ce qu’on voit dans les BD
quand le super-héros donne un coup de poing dans la figure d’un
super-méchant. Paf ! Bang !, Tchac ! Et Zack !»), un
premier-de-la-classe qui n’a jamais lu un comics de sa vie, fait ses
devoirs de maths. «Le soir fatidique», ça faisait une heure que Luke se
retenait en lisant un vieux numéro de «Teen Titans : les jeunes Titans».
Pendant qu’il soulageait enfin sa vessie, Zorbon le Décideur (un
voyageur interdimensionnel représentant le Haut conseil de Frodax Marvel
Ram & Dam, oui, bon… vous voyez bien comment tout ceci va
dégénérer) est apparu dans son vaisseau spatial transdimensionnel, a
conféré des super-pouvoirs et confié une mission vitale pour l’humanité à
Zack. S’il échoue, «les conséquences seront cataclysmiques pour des milliards d’êtres humains».
Heureusement que son frangin maîtrise les codes des super-héros, il va
pouvoir l’aider, en compagnie de Sergio (un Italien asthmatique glouton
de friandises, ce détail est important) et Lara (à qui il a piqué un
feutre pointe fine, 0,4 mm, avec qui il fera des trucs BEAUCOUP plus
géniaux que des bisous). Ils lui ont trouvé un nom (Star Mec), un
costume (une cape faite avec les rideaux des toilettes des Parker) et
des missions (récupérer par télékinésie des portables tombés dans les
égouts, sauver la veuve et l’orphelin…) en attendant de débusquer
Némesis, la super-méchante, et de sauver la planète. Scénariste pour la
télé et le cinéma, David Solomons signe avec Mon frère est un super-héros son premier roman jeunesse, et, on vous le dit tout de suite, ce ne sera pas le dernier. Audrey Vacher.
Mon frère est un super-héros, de David Solomons, traduit de l’anglais par Karine Chaunac, illustré par Laura Ellen Anderson Gallimard Jeunesse 15,90 €.
Dès 12 ans
Le goût du courage
Olivier,
quinze ans, est un chanceux : il a gagné au supermarché un voyage sur
la côte palermitaine. Pourtant, l’adolescent n’a guère envie de déguster
des gelati en jouant au touriste, ni de visiter des églises avec Papa et Maman entre deux plâtrées de caponata.
Olivier se sent avant tout investi d’une noble mission : ramener en
France une bouteille de l’huile d’olive produite par la baronne
Cordopatri. Ce n’est pas tant par amour de la gastronomie transalpine
mais plutôt pour l’histoire de ladite baronne - tirée de faits réels,
comme on dit. Car dans ce roman comme dans la vie, Teresa Cordopatri est
une figure de la lutte contre la mafia calabraise - Libération l’avait rencontrée en ses terres en 1996.
Et dans la vraie vie comme dans ce roman, elle vit dans une maison à la
façade constellée d’éclats de balles. Toute la région appartient à la
Mafia, sauf ses quarante hectares d’oliviers. Pour la chasser, on a même
tué ses proches, parfois sous ses yeux, mais rien n’y fait. Sous
protection policière jour et nuit, sous menace permanente de la
N’dranghetta, la baronne, «une morte qui marche», comme l’écrivait Libération,
tient bon et récolte ses olives coûte que coûte. C’est elle que vient
voir Olivier. Et c’est son huile d’olive qu’il veut, même s’il prend
tous les risques. Voilà l’intrigue, intense et palpitante, de ce roman
remarquablement écrit, où l’on cite aussi bien Giono qu’Aristophane. Un
lecteur de 2015 pourra même y puiser quelques phrases aussi justes
qu’universelles, comme celle-ci : «La mafia est une sorte de climat qui baigne les choses et qu’on peut choisir d’ignorer». Johanna Luyssen.
L’huile d’olive ne meurt jamais, de Sophie Chérer. Paru initialement en 2001, il vient d’être réédité en poche. Ecole des loisirs, 162 pages, 6€80.
Tous, hélas ou heureusement, ne vont pas au bout de leurs peines, se
justifiant par des raisons plus ou moins bonnes. Le livre reste dans les
limbes, bloqué quelque part, au niveau du cortex ou de l'intestin. Dans
De quelques amoureux des livres (*), Claudel imagine une
trentaine d'historiettes où l'ouvrage est resté en plan, mort-né,
proclamé avant que d'être, coulé par le fond et souvent par son auteur
lui-même. C'est celle-ci qui renonça à 23 ans à toute écriture après
avoir fait lire son premier roman à sa meilleure amie qui la dissuada de
poursuivre avant de lui avouer trente ans plus tard qu'elle ne l'avait
pas lu. C'est ce droitier persuadé que son roman se trouve logé dans son
hémisphère droit qu'il n'arrive pas à contacter, toute communication se
faisant chez lui par l'hémisphère gauche. C'est cet auteur à la mode
qui pondait quelque idée nouvelle de roman chaque matin avant de
s'apercevoir en libraire qu'un de ses collègues l'avait précédé, ce qui
l'avait conduit très vite à l'asile, convaincu d'être la victime d'un
complot littéraire.
Un premier roman à 63 ans !
Ce sont ces auteurs décalés qui ont gravé des vers sur les colonnes
de portiques grecs ou sur la peau de leurs esclaves. C'est ce bégayeur à
l'écrit qui ne put jamais enclencher la seconde. C'est ce jeune
écrivain prometteur qui venait de lancer l'impression de son premier
manuscrit un 11 septembre dans le 42e étage d'une des Twin Towers. C'est
ce jeune homme si prometteur à qui l'on prédisait un avenir très
brillant dans la carrière des lettres et qui, retardant toujours le
moment de s'y mettre, franchit le pas à 63 ans avec un résultat si
décevant pour lui et les autres qu'il en mourut. C'est encore Leornord
Rosemond, grainetier hollandais de son état, qui n'avait jamais lu un
livre, mais qui restitua la Recherche du Temps perdu à la virgule près. C'est encore… Il y a un petit côté Borges
chez Claudel qu'on ne soupçonnait pas, mais qu'on découvre avec plaisir
dans ce délicieux petit livre qu'il aura, lui, réussi à achever. Le
veinard ! (*) De quelques amoureux des livres, de Philippe Claudel. Ed Finitude.
Un
professeur du lycée Janson de Sailly a répondu spirituellement aux contempteurs
des études classiques
Voici
son discours prononcé à la distribution solennelle des
prix.
>
>
Je
regrette de ne pouvoir reprendre l’antique coutume de prononcer le discours en
latin …… mais, que voulez-vous, la mode est passée et il n’est personne, à
l’heure actuelle, qui aurait le téméraire courage de le
ressusciter. > > Primo,
comme disait un latiniste de mes amis, cela pourrait passer pour un ultimatum
aux humanités modernes ….. et ce serait ipso facto un véritable outrage au statu
quo que de faire ex cathedra un pareil lapsus. > > Secundo,
il faut de plus en plus s’exprimer en français, c’est la condition sine qua non
pour être persona grata. > > Tertio,
il ne faut pas ajourner sine die la remise de l’exeat* que vous attendez, soit
dit en a parte, comme nec plus ultra. > > Finis
les pensums, finis les vétos ; l’heure est aux accessits, aux ex æquo, et
cætera. > > Dans
un instant vous serez récompensés au prorata de vos efforts.
> > On
proclamera urbi et orbi vos résultats, non point grosso modo, mais in extenso,
et vous emporterez un palmarès que vous conserverez jalousement en duplicata,
comme mémento, première ébauche au sein de l’ alma mater** alias l’universalité
de votre curriculum vitae. Vous
partirez ad libitum*** les uns par l’omnibus, les autres pedibus cum jambis ou
vice et versa. Aussi
ne veux-je plus retarder votre sortie d’un seul alinéa ou d’un seul
post-scriptum et parvenu à mon terminus, je me contente de vous dire simplement,
in extrémis : mes chers amis, au revoir et belles vacances > > Prends-en
de la graine Najat,
et
surtout,
n’oublie
pas que
Errare
humanum est,
perseverare
diabolicum
>
> Quelques
expressions latines dont je ne connaissais pas le sens exact
: > > *
exeat
: Certificat de radiation, délivré par un collège ou un lycée attestant que
l’élève a quitté l’établissement et qu’il est en règle (dettes soldées, manuels
restitués, etc.), quitus
**
alma mater : A l’origine mère nourricière. S'est vite devenue appliquée à la
Vierge Marie.
> > Aujourd’hui,
le terme est essentiellement employé dans le monde de l’enseignement supérieur.
>
>
Ainsi,
dans les pays anglophones, le terme est surtout employé pour désigner
l’université dans laquelle une personne a fait ses études, mais est aussi
utilisé pour un collège ou un lycée.
***
ad libitum : (terme bien connu des musiciens) Caractère facultatif d’une partie
vocale ou instrumentale; liberté de mouvement laissée à l’exécutant dans un
passage.
Rite familial, activité ludique, anticipation de la fête, espionnage
facilité pour les parents : la lettre au vieux bonhomme en rouge est un
passage obligé.
« Le Père Noël existe. » En expliquant au Point.fr que le généreux
barbu est un symbole - celui de la générosité, du plaisir d'offrir, de
la surprise aussi -, la pédiatre Edwige Antier
a assuré que les enfants doivent croire en l'existence du généreux
barbu. Dès lors, mieux vaut lui écrire : sait-on jamais, mieux vaut ne
prendre aucun « risque ».
Chaque année, les parents les plus organisés se ruent ainsi sur les
catalogues des magasins de jouets dès leur parution : ils se souviennent
que l'an passé, le 15 novembre, les précieuses « bibles » étaient déjà
toutes épuisées (à croire que certains en prennent plusieurs, comme pour
compenser le manque de l'année dernière). Pour les plus jeunes, c'est
le coup d'envoi d'un mois de découpages intensifs, de pages cornées, de
Lego entourés, de photos de peluches d'ours collées sur des feuilles
volantes qui disparaissent toujours. D'où l'impérieuse nécessité d'avoir
un second catalogue sous la main (on y pensera l'année prochaine).
Un coup de main pour les adultes
Préparer sa liste de cadeaux de Noël, c'est l'occasion pour les
petits d'une activité ludique. Pour les plus âgés, c'est le moment de
confesser ses bêtises de l'année dans une lettre manuscrite si appliquée
qu'elle en ferait pâlir d'envie les maîtresses d'élémentaire - un mea culpa
qui se poursuit bien souvent par jeu lorsqu'ils découvrent que le Père
Noël n'existe pas. « C'est incroyable de voir à quel point l'enfant a
besoin de cela. Les petits se confient au Père Noël, qui les comprend,
les console, leur prépare de bonnes surprises. C'est pour cela que les
parents ne doivent en aucun cas menacer les enfants que le Père Noël
risque de ne pas venir s'ils ne sont pas sages. Taratata ! Il passe
pour tous, ce n'est pas le Père Fouettard ! » s'emporte Edwige Antier.
« Tous les enfants savent qu'ils auront leur cadeau à Noël ! »
Pour les adultes, c'est un formidable coup de main pour satisfaire
les moindres désirs de leur progéniture. À condition que les jouets
rêvés ne soient pas déjà en rupture de stock, à cause de parents mieux
organisés qui ont commandé sur Internet ou raflé les derniers
exemplaires. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes que ceux qui se ruent
sur le stock de catalogues. Et pour tous, c'est le début d'un rituel
immuable : le compte à rebours jusqu'au soir tant attendu est lancé.
Comment écrire ?
Le traditionnel secrétariat du Père Noël, situé à Libourne, reçoit
chaque année depuis 1962 plusieurs centaines de milliers de lettres et
de mails d'enfants, contenant des dessins et leurs souhaits en matière
de cadeaux. L'année dernière, 1,2 million de missives ont été traitées
par La Poste, dont 123 600 par courriel. C'est Jacques Marette, ministre des Postes en 1962, qui avait confié à sa sœur Françoise Dolto, la psychanalyste pour enfants, le soin de rédiger le texte de la première « réponse » du Père Noël.
Pour écrire au vieux bonhomme en rouge, une simple lettre manuscrite
ou un dessin glissé dans une enveloppe portant la seule mention « Père
Noël » suffit pour être menée à bon port. Si certains veulent ajouter
une adresse, qu'ils la choisissent : « rue des Nuages », « allée des
Gentils Lutins », ou « place du Bonheur », tout est possible. Il est
également indispensable d'écrire le nom de l'enfant, son prénom et son
adresse complète au dos de l'enveloppe, avant le 22 décembre pour qu'il
puisse lui répondre, quitte à utiliser le site du Père Noël pour un résultat plus rapide.
Car oui, le Père Noël reçoit du courrier, mais il y répond aussi - et
gratuitement de surcroît ! Sur cette jolie lettre décorée de sapin, de
renne et de lutins du Père Noël, celui-ci remercie l'enfant pour sa
lettre, précise que ses lutins et lui mettent tout en œuvre pour qu'il
passe un merveilleux Noël, offre en guise de mise-en bouche un premier
cadeau (une scène de Noël à colorier), et bien sûr, un lien vers « son »
site internet (celui de La Poste, qu'on se le dise).
« Il se donne tant de mal, on lui fera un joli plateau-repas pour ses
rennes et lui, dans la cheminée, le soir de Noël ! » insiste un petit
garçon, qui n'en revient toujours pas que « le vrai Père Noël » lui ait
écrit, à lui. Certains parents voient dans ce moment précis le
top-départ des réjouissances : il y a quelques jours, une amie publiait
sur Twitter un cliché de la lettre écrite par son fils au Père Noël,
avec ce sous-titre éloquent :
« Le chantage peut commencer. »
Raul a construit une arme
d’instruction massive : un tank qui distribue des livres pour lutter contre
l’ignorance
La culture pour tous ! Voilà le credo de Raul Lemesoff,
un artiste excentrique de Buenos Aires. Il s’est mis en tête de créer un tank
dans lequel il se déplace pour distribuer des centaines de livres aux passants.
Une véritable « arme d’instruction massive » qu’il entend utiliser pour
combattre l’ignorance. Un projet formidable que SooCurious se fait un plaisir de
partager avec vous.
Lemesoff a converti une Ford
Falcon 1979 en sorte de tank et l’espace suffisant pour accueillir et pour
stocker environ 900 livres – à l’intérieur et à l’extérieur du véhicule. « Mes
missions sont très dangereuses », explique l’artiste avec un grand sourire. «
J’attaque les gens d’une façon très agréable et amusante.
»
Vous avez sûrement l’habitude de tourner
les pages de votre livre de droite à gauche, mais sachez que ce n’est pas le cas
de tous les ouvrages. Il existe dans le monde un surprenant grimoire que l’on
peut lire de six façons différentes et dont les parties peuvent se feuilleter
indépendamment les unes des autres. Cette prouesse technique date du… XVIe siècle !
L’ouvrage provient de la bibliothèque nationale de Suède et a été imprimé en
Allemagne. Il contient six tomes traitant de religion et interconnectés par des
fermoirs métalliques. La façon de l’ouvrir détermine quelle partie l’utilisateur
va lire sans que les cinq autres ne le gênent.
Nous avons trouvé ce curieux livre
particulièrement étonnant. Ce concept est une très bonne idée même si certains à
la rédaction doutent du fait qu’il soit très pratique à utiliser. Par contre,
nous nous accordons tous sur le fait que cet ouvrage est unique et utilise un
mécanisme fascinant. Auriez-vous soupçonné qu’un ouvrage du XVIe siècle ait un
mécanisme aussi fascinant
?