lundi 30 novembre 2015

On a tous nos tics de langage, mais on peut en guérir !

LA MONTAGNE  29/11/15

Dessin de Deligne
Dessin de Deligne
Comme une envie parfois de mettre des claques… Si, si… Il est des tics de langage, comme « au jour d’aujourd’hui » (aïe, vilain pléonasme), qui défient le seuil de tolérance auditive. Le journaliste Frédéric Pommier s’est penché sur nos abus verbaux.
Sa grand-mère lui disait souvent qu’on n’adore que Dieu. Ça, c’était avant. Désormais, on « adooooore » la Terre entière, le dernier James Bond comme la tarte aux cerises. Et tout est « frais », « comme le poisson ! ». Acteur, livre, pièce de théâtre… « Ce n’est pas bien, c’est frais ! Cela doit être l’influence du réchauffement climatique. Le frais est devenu positif ! »

Frédéric Pommier « a toujours été sensible à la parole » et s’amuse de nos tics de langage, sans épargner sa caste, celle des journalistes, grands distributeurs d’expressions toutes faites. Une fois même, il a lu sous la plume d’un confrère : « Le bras de fer des cheminots pourrait faire tache d’huile ». Tant qu’à faire, autant cumuler joyeusement les formules-images. « On en use et abuse ». À la décharge des journalistes, plaide-t-il, comme des politiques qui ne sont pas en reste, cette obligation d’« être compris par un maximum de gens en un minimum de temps ». Alors, par mimétisme, les tics se démultiplient.
Il les qualifie de « maladies auditivement transmissibles », tant ces tics se répandent comme une traînée de poudre (et hop, encore une image !). Alors, rien de bien méchant. « Ce n’est pas très grave, souvent même drôle ». Mais quand même, quand « on entend cinq fois par heure “la tension est palpable”, que ces tics saturent le discours, cela finit par devenir très agaçant », confie le journaliste de France Inter, auteur de L’Assassin court toujours et autres expressions insoutenables et Mots en toc et formules en tic, chez Points Seuil. Lui-même s’est soigné, même si « du coup » par ci, « du coup » par là, s’invite encore un peu trop souvent. « Il suffit de faire attention car, quelque part, c’est une forme de paresse ».

« Mots-doudous »Laquelle nous conduit parfois jusqu’au mépris. On parle de « grogne sociale », cite Frédéric Pommier, mais ce sont les cochons qui grognent. Il n’aime pas non plus les « foules anonymes » (alors qu’on parle d’un « parterre de stars »), ou « revoir sa copie ». Ou encore « les footballeurs jouent à la maison » pour dire « à domicile ». Infantilisant, tranche-t-il. Mais terriblement révélateur de notre époque où on ne dit plus « Bon appétit » mais « Bonne dégustation » (merci les concours culinaires télé), où tout est « décomplexé » comme la droite de Copé. Les tics sont rassurants. « On les utilise comme des béquilles du langage », de vrais « mots-doudous ».
Il en va de même pour les « tu vois c’que j’veux dire ? », « c’est clair », « juste », « j’dis ça, j’dis rien », « j’avoue », « grave »… servis à tout bout de champ et qui cachent mal leur vacuité. Ils disent trop qu’on n’a rien à dire. Mais ils ont leur utilité, ils nous servent… à reposer notre cerveau parce que, quoi qu’on en dise, il n’est guère facile de parler et de réfléchir en même temps, donc un petit « en fait » furtivement casé, cela permet de meubler, en attendant.
Seulement, on n’en sort pas grandi. Il faut savoir qu’« en fait », par exemple, est le premier tic de langage des enfants. Oups, ça fait réfléchir… On fera attention la prochaine fois. Et on arrêtera de balancer des émoticônes en guise de réponse pour ne pas avoir à élaborer une réflexion. Pure mesure de facilité.
Plus le langage est pauvre, plus on en rajoute. On est vite démasqué. L’Académie française veille au grain (formule-image !). Yves Pouliquen, auteur de Dire, ne pas dire, ne plaisante pas avec nos usages fautifs. « Notre belle langue française est menacée dans ses qualités maîtresses : précision, clarté, logique, force, justesse. Son avenir est compromis, et avec lui l’avenir de notre pensée ». « Voili-voilou » (redoutable celui-là !) pour terminer en beauté. 

Florence Chédotalflorence.chedotal@centrefrance.com

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