«L’alpinisme n’existe pas sans récit», écrit François Damilano, alpiniste, guide, cinéaste et… écrivain sur la page d’accueil du site de sa maison d’édition. Et de fait, que serait l’Everest, les Drus ou le Cervin sans ces épopées, ces sagas, ces portraits magnifiant la montagne et les hommes qui la défient. Car qui dit récit dit souffle épique rivalisant avec les bourrasques de glace et de neige; phrases plus torturées que les cimes; hyperboles ou anaphores plus nombreuses que des séracs; réflexions plus profondes que les crevasses d’un glacier…
Face aux mots qui s’envolent et à la pensée qui divague dans l’air raréfié, il fallait une tête bien faite, capable de ramener tout le monde sur terre. C’est ce qu’a accompli Cédric Sapin-Defour, amateur de montagne comme il se doit, prof à ses heures perdues et observateur inspiré de ses semblables grimpeurs.
En 316 définitions, son Dico impertinent de la Montagne dégonfle toutes les baudruches croisées sur les sentiers et les refuges de l’arc alpin. Guides taiseux, sportifs nombrilistes, techniciens de la technique, touristes inconscients, montagnards satisfaits ou grotesques en tout genre. On s’y reconnaîtra tous!
Avec une plume nourrie d’autodérision, d’humour et d’anecdotes, Cédric dévisse l’accompagnateur en moyenne montagne «professionnel de la montagne qui ne sait pas faire les nœuds», le démêler de corde «pratique presque sympa au refuge mais franchement casse couille dans la paroi», la barre énergétique «alimentation principale du grimpeur alpiniste moderne que les Paccard, Balmat et consorts n’auraient même pas donné à leurs mulets», les Namastés «salutation communément employée en Inde et au Népal pour dire bonjour et au revoir. Mains jointes à plat devant la poitrine, on salue ainsi nos semblables d’égal à égal. Les alpinistes revenant d’expéditions restent un temps habités des traditions népalaises et du respect d’autrui. Drapeaux de prière sur le balcon, namasté par-ci, namasté par-là. Puis très vite, le naturel refait surface. Les bras se déplient, les mains se déjointent et le majeur se dégourdit. Enculé par-ci, enculé par-là…»
On pourrait continuer ainsi pendant des pages et recopier la totalité du livre en gloussant. On se contentera de conclure avec une ultime définition et cette interrogation métaphysique. Les bâtons télescopiques: sachant que leur délicat mécanisme ne résistera pas longtemps à la dureté du sol ou aux maniements barbares de vos enfants, que préférer? Qu’ils restent bloqués «en position allongée, efficient pour la marche quitte à ce qu’ils ne rentrent plus dans le coffre de la voiture» ou grippée en position courte, «avantageux pour le transport du bâton mais obligeant à se déplacer exgérement courbé»?

De Cédric Sapin-Defour. JMEditions, 198 pp., 11,90 euros.
Fabrice Drouzy