- 27 mai 2016
- blog : Le blog de Les invités de Mediapart
"Il y a des jours où, grâce
à vous Madame Parisot, dans sa solitude habitée, l’écrivain est heureux de ne
pas être un « acteur économique » et de se savoir un « prix » qui n’est pas
indexé à l’échelle de vos non-valeurs". Des écrivains répondent, sur leurs gains
extravagants, l'industrie du livre de plus en plus industrielle. Et la
littérature.
Ancienne présidente du Medef et actuelle
vice-présidente de l’IFOP, Laurence Parisot a publié dans Libération, le
19 mai, une tribune expliquant pourquoi elle n’a pas signé l’appel à limiter
la rémunération des patrons du CAC 40. Elle décrète injuste le procédé,
précisant que « un cadre dirigeant d’une entreprise non cotée et qui gagne 10
millions d’euros passerait sous le radar ; un artiste qui gagne 20 millions par
an et qui utilise tout au long de l’année sans vergogne les services
d’intermittents ne serait pas concerné ; un écrivain à succès qui empoche 1,8
million de droits d’auteur et qui ne fait travailler personne ne serait pas
concerné ; etc.»
Au-delà du caractère haineux et vulgaire
du terme «empocher», cette affirmation inexacte est révélatrice d’une pensée
qui n’est jamais formulée clairement mais qui est hélas très répandue jusque
dans ce secteur de l’activité économique qu'est, n’en déplaise à Madame
Parisot, l’«industrie du livre», et particulièrement chez les dirigeants de
groupes d’édition et de chaînes de librairies : pour ces «vrais-gens- qui-font-
travailler-les- autres», l’écrivain n’est pas un « acteur économique », ses
prétentions à l’être sont au mieux risibles.
Si l’écrivain à succès ne fait travailler personne, que dire des autres en effet ?
Rappelons à Mme Parisot que la « chaîne du livre», comme la nomment les « vrais gens » etc. est la première industrie culturelle en France, représentant 3,9 milliards d’euros de chiffres d’affaire en 2015, et 80.000 emplois sur les 430.000 de l’ensemble du secteur culturel - écrivains non compris, évidemment, qui ne sauraient être considérés comme des « acteurs économiques».
D’après le ministère de la Culture et de la communication, la répartition moyenne du prix d’un livre est la suivante : 36% vont au libraire, 21% à l’édition en sus des 15% dédiés à la fabrication, 20 % à la distribution et diffusion (entreprises liées ou appartenant aux groupes d’édition) et 8 % à l’auteur.
8% en moyenne, car il est évident que l’auteur de best-seller n’a aucun mal à négocier 16 ou 18 % de droits entre gens de bonne compagnie, quand l’auteur de poésie (celui qui, peut-être, sera étudié dans les lycées en 2080...) peine à obtenir 6 %.
En réalité, de très nombreux auteurs ne touchent ... rien, ou presque, parfois 1000 euros d’à-valoir pour l’écriture d’un livre, et pas seulement dans les petites maisons d’édition dont les éditeurs trop passionnés pour être des « acteurs économiques » sérieux ne parviennent pas à se payer eux-mêmes (du moins ces derniers font-ils travailler imprimeurs, diffuseurs, etc...).
Si la situation de la majorité des auteurs s’est brutalement dégradée ces dernières années, et si l’écart se creuse chaque mois entre les quelques best-sellers qui se vendent plus que jamais (qu’ils soient bons ou mauvais) et la plupart des livres de littérature, qui se vendent de moins en moins (qu’ils soient bons ou mauvais), ce n’est pas le fait du hasard, mais de la « rationalisation économique » de la « chaîne du livre » mise en oeuvre par les dirigeants de l’édition et du commerce culturel précisément au nom de la logique comptable défendue par Mme Parisot, contre laquelle luttent heureusement nombre de libraires indépendants : du strict point de vue des indicateurs économiques, il est bien plus rentable de vendre cent fois le même titre que cent titres différents.
Cette « rationalisation économique » qui réduit le livre à un statut d’objet de consommation et l’auteur à la brutalité de ses chiffres de vente, est suicidaire à long terme.
Que devient l’écrivain, au fond, dans un monde où la valeur des êtres et des choses se réduit aux seuls critères marchands, un monde où celui qui ne s’inscrit pas dans les rapports de domination et de servitude n’existe pas ? Les oeuvres de Dante, Montaigne, Cervantès et de la marquise de Sévigné donnent du travail longtemps après la mort de leur auteur: ce n'est pas une raison pour considérer, comme Mme Parisot et ses pairs, que l'écrivain vivant n'est qu'un ornement de salon qui n’a besoin ni de manger ni de se loger, et en conséquence l'écrivain « empoche » indûment les fruits de sa reconnaissance.
Pourtant, ce qui restera de notre époque est précisément ce qu'auront produit les artistes "sns vergogne" et les écrivains sans "travail".
Il y a des jours où, grâce à vous Madame Parisot, dans sa solitude habitée, l’écrivain est heureux de ne pas être un « acteur économique » et de se savoir un « prix » qui n’est pas indexé à l’échelle de vos non-valeurs.
Si l’écrivain à succès ne fait travailler personne, que dire des autres en effet ?
Rappelons à Mme Parisot que la « chaîne du livre», comme la nomment les « vrais gens » etc. est la première industrie culturelle en France, représentant 3,9 milliards d’euros de chiffres d’affaire en 2015, et 80.000 emplois sur les 430.000 de l’ensemble du secteur culturel - écrivains non compris, évidemment, qui ne sauraient être considérés comme des « acteurs économiques».
D’après le ministère de la Culture et de la communication, la répartition moyenne du prix d’un livre est la suivante : 36% vont au libraire, 21% à l’édition en sus des 15% dédiés à la fabrication, 20 % à la distribution et diffusion (entreprises liées ou appartenant aux groupes d’édition) et 8 % à l’auteur.
8% en moyenne, car il est évident que l’auteur de best-seller n’a aucun mal à négocier 16 ou 18 % de droits entre gens de bonne compagnie, quand l’auteur de poésie (celui qui, peut-être, sera étudié dans les lycées en 2080...) peine à obtenir 6 %.
En réalité, de très nombreux auteurs ne touchent ... rien, ou presque, parfois 1000 euros d’à-valoir pour l’écriture d’un livre, et pas seulement dans les petites maisons d’édition dont les éditeurs trop passionnés pour être des « acteurs économiques » sérieux ne parviennent pas à se payer eux-mêmes (du moins ces derniers font-ils travailler imprimeurs, diffuseurs, etc...).
Si la situation de la majorité des auteurs s’est brutalement dégradée ces dernières années, et si l’écart se creuse chaque mois entre les quelques best-sellers qui se vendent plus que jamais (qu’ils soient bons ou mauvais) et la plupart des livres de littérature, qui se vendent de moins en moins (qu’ils soient bons ou mauvais), ce n’est pas le fait du hasard, mais de la « rationalisation économique » de la « chaîne du livre » mise en oeuvre par les dirigeants de l’édition et du commerce culturel précisément au nom de la logique comptable défendue par Mme Parisot, contre laquelle luttent heureusement nombre de libraires indépendants : du strict point de vue des indicateurs économiques, il est bien plus rentable de vendre cent fois le même titre que cent titres différents.
Cette « rationalisation économique » qui réduit le livre à un statut d’objet de consommation et l’auteur à la brutalité de ses chiffres de vente, est suicidaire à long terme.
Que devient l’écrivain, au fond, dans un monde où la valeur des êtres et des choses se réduit aux seuls critères marchands, un monde où celui qui ne s’inscrit pas dans les rapports de domination et de servitude n’existe pas ? Les oeuvres de Dante, Montaigne, Cervantès et de la marquise de Sévigné donnent du travail longtemps après la mort de leur auteur: ce n'est pas une raison pour considérer, comme Mme Parisot et ses pairs, que l'écrivain vivant n'est qu'un ornement de salon qui n’a besoin ni de manger ni de se loger, et en conséquence l'écrivain « empoche » indûment les fruits de sa reconnaissance.
Pourtant, ce qui restera de notre époque est précisément ce qu'auront produit les artistes "sns vergogne" et les écrivains sans "travail".
Il y a des jours où, grâce à vous Madame Parisot, dans sa solitude habitée, l’écrivain est heureux de ne pas être un « acteur économique » et de se savoir un « prix » qui n’est pas indexé à l’échelle de vos non-valeurs.
Premiers
signataires :
Marianne Alphant;
Olivier Barbarant; Thierry
Beinstingel; Alexandre Bergamini; Arno
Bertina; Yves Bichet; Geneviève
Brisac; Belinda
Cannone; Hélène Cixous;
Frédérique Clémençon; Thomas Clerc;
Guillaume Chérel; Dominique
Conil; Marie Cosnay; Céline
Curiol; Marie-Hélène Dumas; Renaud
Ego; Annie
Ernaux; Jean-Michel Espitallier;
Pascale Fautrier; Christine Fizscher;
Pierrette Fleutiaux; Isabelle Floch;
Anne-Marie Garat; Laurent Grisel; Nedim
Gursel, Caroline Hoctan; Sylvaine
Jaoui; Sophie Képès; Cloé Korman;
Nathalie Kuperman; Mathieu Larnaudie;
Camille Laurens; Bertrand
Leclair, Pierre Lemaître, Christian
Limousin; André Markowicz;
Vincent Message; Jean-Yves
Mollier; Gérard Mordillat; Françoise
Morvan; Yves Nilly; Laurence
Nobécourt; Gloria Origgi; Eric
Pessan; Didier Peyrat;
Nathalie Peyrebonne; Alice de
Poncheville; Jean Rouaud; Emmanuel
Ruben; Jean-Jacques Salgon; Lydie
Salvayre; Anne Savelli; Dominique
Sigaud; Olivier Steiner, Philippe Torreton,
Valère Staraselski, Michel Surya; Tiffany Tavernier; Arnaud
Viviant, Cécile Wajsbrot; Astrid
Waliszek, Carole Zalberg...
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