dimanche 24 janvier 2016

Réforme du collège : lettre ouverte de 200 professeurs à François Hollande


A gauche, manifestations contre les réformes portées par Claude Allègre en 1998 ; à droite, manifestation contre la réforme du collège portée par Najat Vallaud-Belkacem en mai 2015
FIGAROVOX/LETTRE OUVERTE - Deux cents professeurs prennent la plume pour demander à François Hollande de se mobiliser pour la défense de l'école républicaine en retirant la réforme du collège.

Deux cents professeurs se mobilisent pour le retrait de la réforme du collège dans une pétition en ligne: appel national pour sauver l'école de la République.
Antoine Desjardins est professeur de lettres, coauteur de Sauver les lettres: des professeurs accusent (Textuel), membre du Comité Orwell. Il soutient l'appel pour le rétablissement des horaires de français.

Monsieur le Président de la République,
L'Ecole républicaine, héritière de Condorcet, de Guizot et de Ferry est le bien commun de tous les Français ; nous savons votre attachement à l'Education Nationale, vous qui en fîtes une question essentielle de votre campagne présidentielle de 2012. Nous nous permettons pourtant, enseignantes et enseignants, parents d'élèves de vous interpeller sur la réforme du collège. La réforme décrétée et impulsée par Madame la Ministre de l'Education Nationale entend lutter contre l'échec scolaire au collège, permettre une plus juste égalité des chances dans un souci d'émancipation individuelle et collective des élèves, susciter le goût d'apprendre chez ces derniers. S'il ne revient à personne ici de contester de telles légitimes ambitions qui font consensus pour l'ensemble des acteurs, la réforme 2016 ne produira pas hélas les effets attendus. Derrière ces grands principes fédérateurs se cache une réalité très différente. L'autonomie, pilier de la réforme, induit un système éducatif éclaté, le centre de gravité décisionnel devient l'établissement tant pour définir des programmes enseignés, rebaptisés curricula, que pour les modalités de l'évaluation voire la déclinaison horaire des enseignements.
La réforme entraîne la diminution des horaires disciplinaires pour permettre la mise en place des enseignements complémentaires sous deux formes: l'accompagnement personnalisé ou AP et les enseignements interdisciplinaires ou EPI. Les élèves de sixième n'auront que l'AP prélevé sur les horaires disciplinaires à raison de trois heures hebdomadaires, les élèves à partir de la cinquième conserveront une heure d'AP et feront deux heures d'EPI retranchés sur les horaires d'enseignement de ces mêmes disciplines. En outre, des options et des dispositifs disparaissent comme les classes européennes qui permettent à 10% des élèves d'avoir deux heures de langues en plus en 4° et en 3° et la découverte professionnelle trois heures destinées à préparer l'avenir professionnel durant trois heures hebdomadaires. Les options soit langues anciennes, soit langues régionales deviennent des enseignements de complément qu'il ne sera pas possible de proposer partout, d'autant que les horaires hebdomadaires diminuent passant de trois heures à deux heures.

Les classes bilangues notamment en allemand, cas particulier, sont parfois maintenues mais dans un cadre horaire contraint et dans des conditions draconiennes qui augurent mal de leur avenir. Par ailleurs, la réforme s'appliquera sur les quatre niveaux du collège et posera des problèmes de continuité aux élèves en cours de scolarité, dont les programmes seront caducs à la rentrée 2016. Cette réforme entraîne une baisse de l'offre de formation et la suppression d'un cadre national.
Vous aviez voulu, Monsieur le Président, privilégier le dialogue social pour promouvoir les réformes, force est de constater qu'il n'existe pas au sein de notre institution. Depuis des mois, la Ministre reste sourde à la contestation, refusant de rencontrer les représentants des principales organisations syndicales opposées à la réforme. Sachez que des tensions inédites naissent au sein des établissements entre enseignants eux-mêmes, enseignants et personnels de direction d'autre part. Nous oscillons entre colère, désarroi et abattement, car nous avons le sentiment d'avoir été injustement désignés comme responsables de l'augmentation des inégalités sociales et culturelles dans une société fracturée et fragilisée. Le temps pédagogique n'est pas le temps politique! Sachez qu'à la rentrée prochaine un enseignant de collège devra s'approprier la réforme des organisations du collège, la refonte complète de tous les programmes pour tous les niveaux, assimiler leurs logiques curriculaires, concevoir dans le même temps des enseignements aussi complexes que l'AP et l'EPI, intégrer dans sa pratique les nouvelles modalités de l'évaluation. Personne rue de Grenelle ne semble prendre conscience de la charge de travail qui sera exigée des enseignants désormais taillables et corvéables à merci sans revalorisation des salaires! Cette mise en œuvre hâtive, bâclée, impulsée autoritairement voue la réforme à l'échec!
Pourtant en 2012, vous aviez souhaité que votre quinquennat scelle la réconciliation de tous les Français ; c'est donc vers vous que nous nous tournons au risque pour nous signataires d'encourir les sanctions de notre hiérarchie rectorale qui multiplie intimidations et sanctions disciplinaires contre les opposants à la réforme. Si votre élection suscita en 2012 espoir et confiance, en 2016 la salle des professeurs chavire entre désespoir et vif mécontentement. Il est encore temps de renouer le fil du dialogue qui menace de se rompre définitivement.
Monsieur le Président, on reconnaît le grand homme d'Etat à ses audaces, alors élevez-vous au-dessus de nous tous, vous l'arbitre national! Abrogez ce décret et reconstruisons ensemble une autre réforme pour le collège.
Comptant sur la justesse de votre jugement, veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, l'expression de nos salutations respectueuses, républicaines et laïques.

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