jeudi 19 mai 2016

Manuscrit de 1431 dans lequel Jeanne d'Arc parle de ses anneaux

 Publié le | Le Point.fr



Un grand nombre de documents officiels du procès de Jeanne d'Arc ont traversé les siècles jusqu'à nous. Les plus précieux sont conservés au département des manuscrits médiévaux de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Leur responsable, la conservatrice Delphine Mercuzot, a accepté de montrer à notre caméra les deux plus précieux, où ont été notées les paroles exactes de la Pucelle à son procès de 1431, à Rouen.
Il faut bien savoir que celui-ci n'a pas été bâclé par les Anglais et son ordonnateur l'évêque de Beauvais Pierre Cauchon, mais tenu totalement dans les formes. Hormis les juges, les docteurs en droit, les avocats, etc., il y avait trois greffiers officiels pour recueillir chaque parole prononcée. Taquel, le greffier du vice-inquisiteur, Boisguillaume et Guillaume Manchon, les deux greffiers de Cauchon. C'est surtout Manchon qui tient la plume. Enfin, cachés derrière un rideau, deux ou trois scribes anglais notent, à leur façon, les affirmations de chacun.

Colère des greffiers français

Chaque soir, après la séance du jour, l'évêque Cauchon, des docteurs en droit et les greffiers officiels et officieux se réunissent pour déterminer les paroles à conserver dans la minute officielle. Au début du procès, Cauchon exprime son désir d'utiliser les notes fallacieuses des greffiers anglais comme base du document final. Colère des greffiers français qui, malgré leurs craintes, menacent de démissionner, obligeant l'évêque à faire machine arrière. Ce sont donc les notes de Manchon qui servent de base à la discussion (parfois très houleuse). Finalement, malgré quelques corrections pour amoindrir le témoignage de Jeanne, les historiens considèrent la minute comme une expression relativement fidèle du débat.
Après le supplice de Jeanne, la minute est traduite en latin pour être intégrée dans l'acte authentique rédigé par Thomas de Courcelles sous le contrôle de Guillaume Manchon. Quant à la minute officielle, elle est conservée par le greffier français qui, 14 ans plus tard, la remettra au tribunal lors du procès en révision de Jeanne d'Arc. C'est cette minute que l'on retrouve, plusieurs siècles après, incluse dans le manuscrit dit d'Urfé, conservé par la BnF. Les experts sont formels : il s'agit bien de la minute en français rédigée par Guillaume Manchon. Malheureusement, elle n'est pas entière. Delphine Mercuzot, qui nous montre l'ouvrage, nous fait remarquer qu'il manque le passage où Jeanne parle des deux anneaux donnés par son frère, et par sa mère et son père. C'est la possession de l'un de ces deux anneaux qui est revendiquée aujourd'hui par Philippe de Villiers. Une revendication qui fait d'ailleurs bien sourire les historiens sérieux.


Satut équestre de Jeanne d'Arc et minute du Manuscrit d'Urfé ©Lewino

L'acte authentique

Ce fameux passage, si nous le connaissons, c'est parce qu'il est rapporté ailleurs. En effet, il figure dans l'acte authentique rédigé par Thomas de Courcelles, dans sa traduction latine. Si cet acte a disparu, en revanche, la BnF détient deux des cinq copies de l'acte authentique réalisées à l'époque pour le roi d'Angleterre, pour Rome et pour Cauchon. Delphine Mercuzot nous ouvre l'une de ces copies à la page de la minute où Jeanne évoque ces fameux anneaux. Comme c'est en latin, en voici une traduction réalisée par Dom H. Leclercq en 1906 :
- L'INTERROGATEUR : Avez-vous vous-même des anneaux ?
- JEANNE (s'adressant à Cauchon) : Vous, évêque, vous en avez un à moi, rendez-le-moi !

- L'INTERROGATEUR : N'aviez-vous pas d'autre anneau ?
- JEANNE : Les Bourguignons m'en ont pris un autre. Mais vous, évêque, montrez-moi le susdit anneau, si vous l'avez.
- L'INTERROGATEUR : Qui vous a donné l'anneau qu'ont les Bourguignons ?
- JEANNE : Mon père ou ma mère.
- L'INTERROGATEUR : Y avait-il aucun nom dessus ?
- JEANNE : Il me semble que les noms Jhesus Maria y étaient écrits. Je ne sais qui les y fit écrire. Je crois qu'il n'y avait pas de pierre à cet anneau qui me fut donné à Domrémy.
- L'INTERROGATEUR : Qui vous a donné l'autre anneau ?
- JEANNE : Mon frère me l'a donné. Vous l'avez présentement. Je vous charge, évêque, de le donner à l'Église.
- L'INTERROGATEUR : Avez-vous guéri personne avec l'un ou l'autre de vos anneaux ?
- JEANNE : Oncques je n'ai fait de guérison avec aucun de mes anneaux.

Un stratagème vicieux

En effet, si Cauchon s'intéresse tant aux anneaux de Jeanne, c'est pour lui faire avouer une utilisation miraculeuse pour soigner les gens, ce qui relèverait de la sorcellerie. Mais l'accusée tient bon. Tout au long du procès, elle se montre bonne chrétienne, ce qui empêche le tribunal d'établir un chef d'accusation valable. Du coup, pour la condamner, Cauchon imagine un stratagème vicieux. Il monte une fausse exécution pour lui faire peur et la convaincre d'abjurer ses fautes. Notamment, on lui fait jurer de ne plus jamais porter d'habits d'homme. Puis on la remet en cellule où ses gardiens lui volent ses vêtements féminins en abandonnant des habits masculins. Obligée de sortir, elle enfile ces derniers, ce qui fait d'elle une parjure ou une relaps. Or, il s'agit d'un crime à cette époque passible de la peine de mort. La voilà donc condamnée au bûcher....

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