vendredi 18 décembre 2015

Requiem (drôle) pour écrivains maudits

Ras-le-bol des livres parus dont la critique rend compte avec complaisance ! Philippe Claudel s'intéresse aux ouvrages jamais écrits. Les meilleurs !

Publié le | Le Point.fr
Philippe Claudel consacre un ouvrage facétieux aux ouvrages qui ne sont pas parus, restés bloqués dans le cortex ou l'intestin de leurs auteurs.
Philippe Claudel consacre un ouvrage facétieux aux ouvrages qui ne sont pas parus, restés bloqués dans le cortex ou l'intestin de leurs auteurs. © Belga photo/ ERIC LALMAND
L'année s'achève. Et avec elle, le ressac des livres écrits, publiés. Fermons le ban. Il est temps, largement, de s'intéresser aux livres qui n'ont pas paru. De s'y intéresser avec Philippe Claudel qui leur consacre un ouvrage facétieux, charmant, et parfois tordant. Chacun de nous, c'est une évidence depuis que Cocteau nous l'avait affirmé, est un poète, un grand poète, un écrivain, un grand écrivain.
Tous, hélas ou heureusement, ne vont pas au bout de leurs peines, se justifiant par des raisons plus ou moins bonnes. Le livre reste dans les limbes, bloqué quelque part, au niveau du cortex ou de l'intestin. Dans De quelques amoureux des livres (*), Claudel imagine une trentaine d'historiettes où l'ouvrage est resté en plan, mort-né, proclamé avant que d'être, coulé par le fond et souvent par son auteur lui-même. C'est celle-ci qui renonça à 23 ans à toute écriture après avoir fait lire son premier roman à sa meilleure amie qui la dissuada de poursuivre avant de lui avouer trente ans plus tard qu'elle ne l'avait pas lu. C'est ce droitier persuadé que son roman se trouve logé dans son hémisphère droit qu'il n'arrive pas à contacter, toute communication se faisant chez lui par l'hémisphère gauche. C'est cet auteur à la mode qui pondait quelque idée nouvelle de roman chaque matin avant de s'apercevoir en libraire qu'un de ses collègues l'avait précédé, ce qui l'avait conduit très vite à l'asile, convaincu d'être la victime d'un complot littéraire.

Un premier roman à 63 ans !

Ce sont ces auteurs décalés qui ont gravé des vers sur les colonnes de portiques grecs ou sur la peau de leurs esclaves. C'est ce bégayeur à l'écrit qui ne put jamais enclencher la seconde. C'est ce jeune écrivain prometteur qui venait de lancer l'impression de son premier manuscrit un 11 septembre dans le 42e étage d'une des Twin Towers. C'est ce jeune homme si prometteur à qui l'on prédisait un avenir très brillant dans la carrière des lettres et qui, retardant toujours le moment de s'y mettre, franchit le pas à 63 ans avec un résultat si décevant pour lui et les autres qu'il en mourut. C'est encore Leornord Rosemond, grainetier hollandais de son état, qui n'avait jamais lu un livre, mais qui restitua la Recherche du Temps perdu à la virgule près. C'est encore… Il y a un petit côté Borges chez Claudel qu'on ne soupçonnait pas, mais qu'on découvre avec plaisir dans ce délicieux petit livre qu'il aura, lui, réussi à achever. Le veinard !
(*) De quelques amoureux des livres, de Philippe Claudel. Ed Finitude.

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