mercredi 2 décembre 2015

Radiguet : en 1923, Le Figaro aime Le diable au corps

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Publié  
François de Gouy, Georges Auric, Raymond Radiguet, Bernard Nathanson, Jean Cocteau, Jean Hugo et Russel Greeley au Piquey en 1923.

Treize cahiers d'écoliers de Raymond Radiguet sont mis en vente aux enchères ce 2 décembre. Il s'agit du premier manuscrit du Diable au corps écrit entre 1921 et 1922 et corrigé par Cocteau.
Estimé entre 500 et 700.000 euros, les cahiers du Diable au corps de Raymond Radiguet écrit au début des années 20, faisaient partie de la collection Roland Saucier, directeur de la librairie Gallimard, mort en 1994.
Le premier cahier daté du 20 août 1921 est écrit par Raymond Radiguet au Piquey, près du bassin d'Arcachon, où il séjourne avec Cocteau. L'histoire est scandaleuse et sombre: un amour adultère entre un lycéen et une femme dont le fiancé combat dans les tranchées. Elle met au monde un enfant, un fils, et meurt peu de temps après.
Le roman est un succès: 100.000 exemplaires vendus en trois mois. Mais neuf mois après la sortie du livre, Raymond Radiguet meurt de la typhoïde, il a 20 ans.
Jacques Patin, le critique littéraire du Figaro est particulièrement sensible à: «la sincérité profonde, implacable...humain jusqu'à la cruauté...tout chaud et tout palpitant d'émotions» et dont le style «laisse présager un véritable écrivain».
Article paru dans le Supplément littéraire du Figaro du samedi 17 mars 1923.
Chez le Libraire
Le diable au corps par Raymond Radiguet
«Ce roman, qui a pour auteur un petit prodige de dix-sept ans, est un chef-d'œuvre»: c'est en ces termes qu'on nous a annoncé le Diable au Corps. Et cela rappelle la définition fameuse: «L'écrevisse est un petit poisson rouge qui marche à reculons.» Mais, de ce que cette définition n'est pas exacte. il ne s'ensuit pas que l'écrevisse ne soit un mets délicieux ni le livre de M. Raymond Radiguet une œuvre fort délectable et il ne s'en suit pas non plus qu'ils ne puissent être savourés l'un et l'autre qu'en cabinet particulier. De l'extrême franchise de cet ouvrage auquel on sera tenté de reprocher çà et là un certain cynisme on aurait tort, de même, de conclure au manque de cœur de l'auteur et d'étendre ce grief à toute une génération. Il y a belle lurette que cet âge est sans pitié et, comme le remarque avec raison M. Radiguet, ce n'est pas sa faute s'il a eu douze ans en 1914 et si la guerre, pour lui comme pour ses jeunes camarades, a été «quatre ans de grandes vacances».
Au reste, sa sincérité profonde, implacable, n'est pas le moindre mérite de ce roman. M. Raymond Radiguet a écrit un livre vrai, humain jusqu'à la cruauté, tout chaud et tout palpitant d'émotions et de sensations qui sont à peine des souvenirs. La place nous manque pour esquisser ici dans ses grandes lignes cette aventure d'amour d'un collégien et d'une jeune femme dont le mari est au front. M. Raymond Radiguet y a fait preuve d'une lucidité dans l'analyse d'autant plus remarquable qu'elle s'allie à la fraîcheur de sensibilité d'un enfant. L'histoire se déroule sur les bords de la Marne, mais l'auteur ne s'attarde pas à les décrire ; il est tout entier à un amour impérieux, exclusif, qui l'accapare et qui l'absorbe et il n'aperçoit guère plus le paysage qu'il n'entend au loin le canon de la bataille. En revanche, avec quelle sûreté et quelle acuité de coup d'œil il sait regarder dans son cœur et dans celui de Marthe!
Le style de ce roman n'est pas moins admirable. On a pu reprocher à M. Radiguet d'avoir écrit je concluai, au parfait. Mais c'est lui imputer une faute typographique dont, en bonne justice, il ne saurait être rendu responsable, car c'est à l'imparfait qu'il avait employé le verbe conclure. L's final est tombé et le barbarisme est sorti de la «coquille». Puissent quelques-uns de nos auteurs être toujours aussi innocents de leurs fautes! Puissent-ils aussi apprécier, comme il le mérite, un style net, ferme, dépouillé de fioritures, une langue riche, pleine de relief et de vigueur et qui fait présager un véritable écrivain.
Par Jacques Patin.

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