mercredi 23 décembre 2015

Les écrivains, ces voyageurs du temps

Chronique par Xavier Houssin

Ce mois-ci, Xavier Houssin évoque les allers-retours dans le temps, chers à de nombreux auteurs. 

Les écrivains, ces voyageurs du temps
Fin d’année? Bah… Nos vies ne sont que du passé. Il nous a envahi dès la naissance, ne laissant au présent qu’une part vacillante. Nous séjournons dans les souvenirs sans nous en rendre compte. Fantômes de nous-mêmes, nous nous croisons sans cesse, au hasard d’une rue, d’un paysage. Dans des lieux que nous avons traversés, où nous avons été heureux. Ou pas.
On y salue l’enfant que nous étions et dont les rêves, d’un coup, se réveillent en nous. Ou le jeune homme, la jeune femme, au cœur gonflé d’une attente qui nous fait un peu sourire. Et d’autres figures de nous, encore, avec tous ceux qui les accompagnent.
La littérature se nourrit de ces allers-retours. De ces explorations de la mémoire, avec ses mystères, ses hésitations, ses lacunes à combler. Didier Blonde est l’écrivain de ces voyages dans le temps. Ses livres sont hantés par les spectres, figures souvent inconnues de l’autrefois, qu’il suit à la trace, qu’il accompagne, déchiffrant avec une patience de chartiste leurs existences oubliées. Il a ainsi ramené à lui Suzanne Grandais, la star française du muet (Un amour sans paroles, Gallimard, 2009) ou cette noyée de 1901 au masque mortuaire angélique qu’Aragon appelait « la Joconde du suicide » (Le Nom de l’inconnue, Régine Deforges, 1988, réédité L’inconnue de la Seine, Gallimard, 2013).
Aujourd’hui, avec Leïla Mahi 1932 (1), il mène une autre «enquête». Le titre reprend une inscription gravée sur une plaque funéraire découverte dans les allées du colombarium du Père-Lachaise. Case 5011. Sur la photo placée en médaillon Didier Blonde est happé par «deux grands yeux maquillés d’un cerne ténébreux, aux prunelles hypnotiques, qui me fixent, m’attirent irrésistiblement, comme une phalène». Le voilà parti dans une investigation où les impasses succèdent aux friches. Découragements. Persévérance. Le texte est troublant. On finit par apprendre que Leïlah Mahi, morte à 42 ans, était l’auteur de deux romans. Ah, ces romanciers, ces poètes disparus que l’on aimerait relire ! Le Canadien François Ouellet, grand spécialiste des «méconnus», vient de leur consacrer un recueil. Les années qui passent sont des années-lumière.
(1) Gallimard, 128 p., 15 €.
Contre l’oubli : vingt écrivains français du XXe siècle à redécouvrir de François Ouellet, éditions Nota Bene.

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