jeudi 27 août 2015

Rentrée littéraire 2015 : pourquoi les livres sortent-ils de plus en plus tôt

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RENTREE LITTERAIRE

LITTÉRATURE -

"Un bon livre pour l’été, l'idéal pour se reposer et se ressourcer", écrivait récemment sur les réseaux sociaux un ancien président, plongé dans la lecture de L'Adieu aux armes d'Ernest Hemingway. Aura-t-il fini avant que les 589 titres prévus pour la rentrée littéraire 2015 sortent en librairie? Peu probable. D'autant plus que le grand raout annuel a débuté cette année un peu plus tôt que les précédentes. Une tendance qu'ont observé certains acteurs du milieu.
Alors qu'il fallait généralement attendre la fin du mois d'août pour voir les premiers bouquins estampillés rentrée littéraire atterrir en librairie, les dates de parution sont avancées cette année et la plupart des livres sont déjà disponibles. "C'est un phénomène qui a commencé il y a 4 ou 5 ans", constate une ancienne du monde de l'édition interrogée par Le HuffPost. "Il n'y avait pas autant de parutions avant septembre mais c'est une tendance qu'il faut nuancer. Elle accompagne aussi une baisse de la production et une prise de risques moins importante en matière de premiers romans."

Durée de vie prolongée
Un constat partagé par Jessica Nelson, chroniqueuse littéraire sur TF1 dont le deuxième ouvrage, Tandis que je me dénude, est publié chez Belfond (sorti le 13 août dernier). "J'ai le sentiment que cette rentrée littéraire a démarré plus tôt que les précédentes. Ce 'timing' ressemble aussi à une stratégie de la part des éditeurs qui tentent d'augmenter le temps d'exposition de leurs livres en librairie." L'auteur, forte de son expérience au sein du comité de lecture des éditions Plon et fondatrice des éditions des Saint Pères, ajoute: "Claude Durand, longtemps à la tête Fayard, avait déjà suggéré d'avancer la rentrée littéraire au début de l'été."
Dans une tribune publiée par Le Figaro en 2006, celui qui était surnommé le "pape de l'édition" avait effectivement formulé cette requête. "Je suggère d'avancer sans coup férir la rentrée littéraire à la première quinzaine de juin" assumait Claude Durand. Parmi les arguments imparables avancés pour justifier ce changement d'agenda, quelques clins d'œil à la presse et une logique économique:
"La durée de vie des nouveautés proposées à la curiosité des estivants serait prolongée d'au moins trois mois (au lieu, pour beaucoup, de trois à quatre semaines entre leur parution et les premières 'listes' des jurys) et la 'rentrée' ne coïnciderait plus avec la période où les bourses aplaties par les dépenses vacancières le sont de surcroît par les fournitures scolaires."
Historique
Il n'y a donc pas que le nombre de livres qui varie lors de la rentrée littéraire. Son calendrier et l'avis d'historiens émérites sur le sujet aussi. Comme le rappelle Jean-Yves Morlier dans Le Monde, "l'idée de rentrée littéraire est conceptualisée par le philosophe Ernest Renan dans les années 1880", après avoir longtemps coïncidé avec la rentrée scolaire de septembre, elle s'est mise à empiéter sur le mois d'août, "il y a environ vingt ans".
Patrick Besson, dans son éditorial du Point publié en juillet, met ce décalage sur le compte "d'éditeurs impatients". "Ça ne nous avait pas suffi de gâcher la vie des écrivains avec les prix littéraires, les sélections tous azimuts, les fêtes et Salons du livre: il fallait aussi pourrir leurs vacances. Ainsi que celles des critiques. Qui se vengeront. Avant, ils se vengeaient d'être critiques. À présent, ils se vengeront d'être critiques et d'avoir eu des vacances pourries."
Jessica Nelson avance d'autres raisons. "Les maisons d'édition ont un planning pré-établi. La rentrée littéraire obéit ainsi à plusieurs contraintes comme la perspective des prix de l'automne et le choix des maisons d'édition qui se porte sur des livres considérés comme 'littéraire', un concept déjà difficile à définir. Mais la rentrée c'est aussi un moment plutôt enthousiasmant avec la participation à des festivals ou des salons. Certains auteurs reconnus influencent aussi la date de sortie et choisissent janvier pour se démarquer. On choisit une date différente selon que ce soit un 1er roman ou un 2e généralement plus compliqué."

Blockbusters (note de l'administratrice: en anglais, littéralement « qui fait exploser le quartier », donc en français: produit à forte valeur ajoutée, aussi appelé produit vedette, qui permet à l'entreprise de générer un très gros chiffre d'affaires. )

Tous nos interlocuteurs s'accordent pour dire que ce n'est pas la crainte de la sortie de Grey, le quatrième tome de la franchise 50 nuances de Grey (28 juin dernier chez Lattès) ou le quatrième tome de Millénium (27 août prochain chez Actes Sud), la saga de polar signée Stieg Larsson ici remplacé par David Lagercrantz, auteur de la biographie de Zlatan Ibrahimovic. Des livres qui ne boxent pas dans la même catégorie. "Je ne pense pas leur sortie ait eu un impact sur les autres romans. Ce n'est pas le même public qui est concerné même si je suis fan de Millénium", souligne Jessica Nelson.
Endiguer le flot montant des romans publiés à chaque rentrée automnale ou faire bénéficier le public des nouveautés pendant la période des congés où il a le plus de temps à consacrer à la lecture? Les raisons qui expliqueraient la publication des romans de plus en plus tôt ne manquent pas. Ces sorties épouseraient même une certaine logique économique. "En termes d'achat, les mois de juin et juillet ont toujours été plus forts que août et septembre", souligne notre source anonyme.
Mais l'enjeu est ailleurs. "Le rôle de la rentrée littéraire est surtout d'installer des auteurs aux yeux du public comme des libraires avec la perspective de rafler un prix littéraire", poursuit-elle. Et Jessica Nelson de souligner: "c'est un honneur d'être publié en rentrée littéraire notamment parce que vous portez les couleurs de la maison."

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