samedi 9 juillet 2016

Lettres semées en bouquet

Lettres semées en bouquet



Quand les agriculteurs prennent la plume.
La compagnie des Fous de Bassan ne cesse d’arpenter la Beauce pour creuser un beau sillon où germent des lettres magnifiques. Le pari, pour fou et improbable qu’il soit, n’en demeure pas moins une formidable réussite : des agriculteurs de Beauce ont pris la plume pour rédiger des lettres semées en bouquet.
Pour réussir ce pari, à l’initiative de Christian Sterne, le metteur en scène, des contraintes formelles ont été suggérées afin de fixer un cadre commun et comme toujours, favoriser l'émergence de perles. Chaque lettre est écrite avec pour sujet un élément, un objet ou bien un animal qui partage l’existence des paysans de la grande plaine fertile.
Ainsi, la motte de terre, la petite goutte de pluie, le hangar à pommes de terre, le tas de fumier ou bien l’épi de blé s’adresse par le truchement de leurs scripteurs à des comparses comme les néo-ruraux, le cycliste, le promeneur, le consommateur, le photographe, le vacancier ou les saltimbanques. L’expression ainsi décalée se donne des ailes, emprunte les chemins de la poésie, de l’émotion ou de la fantaisie.
Pourtant, derrière chaque lettre, se cache avec pudeur la réalité du terrain, la souffrance et les difficultés d’un métier souvent mal compris, parfois dénigré, fréquemment moqué, toujours en but avec les réglementations, les banques, les aléas climatiques. On perçoit en arrière fond l’amour pour ce paysage ingrat, cette terre sans relief mais jamais sans beauté. On devine la passion d’un métier qui exige tant de ceux qui le pratiquent sans en tirer un salaire en concordance avec le temps passé.
Ces lettres sont belles, elles sont touchantes, drôles, évocatrices, pleines de cet humour qui est la délicatesse du désespoir. Elles le sont d’autant plus qu’elles sont interprétées magnifiquement par la troupe des Fous de Bassan. Ce soir-là, trois hommes et une femme nous ont entraînés, nous ont enthousiasmés, nous ont fait rêver.
Les lettres sont jouées, interprétées, mises en bouche et en mouvement. Elles sont aussi chantées ou simplement mises en musique. C’est magnifique, c’est d’une beauté à réconcilier agriculture et culture, à faire germer les graines de l’espoir en une humanité meilleure. Les acteurs réussissent ce pari de faire de quidams en bottes de caoutchouc les nouveaux auteurs dramatiques de notre société.
Nous n’avons pas vu le temps passer et pourtant nous n’étions que quelques-uns dans cette salle de restaurant. La concurrence plus que déloyale du football, l’incapacité de la presse locale à promouvoir vraiment les initiatives culturelles de valeur, la trahison des élus locaux dont l’absence fut remarquée, la frilosité des autochtones qui restèrent devant leurs écrans de télévision : tous ces élèments font que nous n’étions pas très nombreux, en dépit de la formidable qualité de la prestation.
C’est à désespérer de se démener ainsi pour élever le niveau, pour instiller le virus de la poésie et de l’écriture dans un monde qui en est si cruellement dépourvu. J’enrage que le talent de la troupe ne soit pas reconnu à sa juste valeur, je m’étrangle quand j’apprends que le maire de la commune où la troupe a élu domicile n’a jamais vu un seul spectacle. Je me refuse à nommer cette ville ligérienne tant ce comportement est indigne et misérable.
La troupe ne baisse pas les bras, elle poursuit son travail, elle l’amplifie aussi. Chacune des cent-huit lettres d’agriculteurs est disponible sur un site afin que tout un chacun puisse répondre à l’une de son choix. Ainsi va naître le bouquet de lettres, tout en créant une communication à distance entre deux mondes qui s’ignorent.
Je ne saurais que vous inviter à vous précipiter sur ce cite : http://lettresdupays.com/blog/ où l’on peut consulter toutes ces perles d’écriture : et surtout, je vous conseille de prendre à votre tour la plume pour répondre. Si vous êtes de notre région, osez une visite, venez écouter les représentations. Elles se déroulent dans les petits villages, loin des grandes salles habituelles de la culture officielle qui se vautrent dans les productions vues à la télé. C’est faire œuvre de militantisme tout en vous offrant un spectacle merveilleux. Ne baissez pas les bras, la culture est l’affaire de tous et la survie de notre langue.
Émerveillement leur.

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