Pour commémorer les 120 ans de la naissance de l'écrivain, le Figaro Hors-Série publie un numéro exceptionnel, entre album souvenir, portrait ensoleillé, profil d'une œuvre généreuse, au charme éternel.
Il a enchanté nos lectures d'enfance, nous a fait vivre la chasse buissonnière dans La Gloire de mon père, courir dans les collines embaumées de sarriette et de lavande, trembler devant le gardien du Château de ma mère, rêver d'aventures et de haute mer avec Marius, pleurer l'amour qui part avec Fanny. Marcel Pagnol aurait eu 120 ans cette année. Il n'a pas pris une ride. Pour célébrer cet anniversaire, le Figaro Hors-Série consacre
un numéro exceptionnel à l'homme, le cinéaste, l'écrivain. Celui qui,
des chemins d'Aubagne au Vieux- port de Marseille, touche à l'universel:
«En nous parlant de lui», écrit Michel De Jaegehere dans son éditorial,
«jamais il n'avait mieux paru s'adresser, tête à tête, à chacun d'entre
nous, pour lui dire les merveilles et la brièveté de la vie.»
Au fil des 106 pages de ce Figaro Hors-Série,
magnifiquement illustrées des dessins du Marseillais Albert Dubout, des
photos d'archives de sa vie et de ses films, on découvre l'enfant des
collines, dont les récits ont la chaleur de l'été, au son des cigales et
des parties de pétanque que l'on joue sous la treille. Le dramaturge,
dont les personnages nous ressemblent comme des frères, dont on ne
serait pas toujours très fiers: Topaze, l'instituteur ingénu qui finit
en maître de la corruption et troque son infructueuse honnêteté pour le
culte de l'argent ; Ugolin Soubeyrran, le paysan cupide qui laisse
mourir à la tâche Jean de Florette, le «pauvre bossu», plutôt que de lui
révéler l'emplacement de la source qu'il a bouchée ; la femme du
boulanger, qui quitte son ballot de mari pour vivre une passion aussi
dévorante qu'éphémère avec un berger de passage.
On entre aussi dans «la bande à Pagnol»: Raimu,
Charpin, Fresnay, qui plus qu'une équipe de tournage forment autour de
lui une famille, avec ses bonheurs et ses chamailleries, et qui
immortalisent à l'écran un monde révolu, partagé entre l'instituteur et
le curé, où la Comédie humaine se joue au village et aux champs.
Récit
de sa vie en douze journées, exploration de sa «Provence intérieure»,
présentation des adaptations de ses œuvres au cinéma, dictionnaire de
ses personnages, agenda des commémorations de l'année Pagnol: ce numéro
du Figaro Hors-série est à savourer tout l'été, sans modération. Pagnol, Le Figaro Hors-Série, 8,90€, en kiosque et sur www.figarostore.fr
En 1930, le coup de foudre de Marcel Pagnol pour le cinéma parlant
ARCHIVES - À l'occasion des 120 ans de la naissance de Marcel Pagnol, le 28 février 1895, Le Figaro Archives publie les meilleurs extraits du récit exclusif, paru en 1965 dans Le Figaro littéraire, dans lequel Pagnol raconte ses débuts au cinéma en 1930.
Tout commence par un dîner dans un petit
restaurant de la rue Blanche, à Paris, un soir de printemps 1930. Pierre
Blanchar, acteur et réalisateur français, raconte à Marcel Pagnol
comment il a halluciné en voyant le film Broadway Melody au
Palladium à Londres: «Les comédiens parlent comme toi et moi, l'illusion
est parfaite». Convaincu, Pagnol part dès le lendemain à Londres et
voit le film quatre fois.
LIRE: Pagnol: «A Londres, je vois le premier film parlant»
Rentré
à Paris, il est persuadé que le cinéma parlant va supplanter le théâtre
et publie un article sur deux colonnes à la Une dans Le Journal le
17 mai 1930 titré: «Le film parlant offre à l'écrivain des ressources
nouvelles». Après la lecture de l'article, certains auteurs de théâtre
le traitent de «rénégat», de traître, refusent de lui serrer la main, le
regardent avec «une pitié méprisante». En mai 1930, Marcel Pagnol est déjà un auteur de pièces de théâtre à succès: Topaze, jouée au Théâtre des Variétés en 1928, et Marius,
au Théâtre de Paris en 1929, ont fait salle comble. Il rencontre le
directeur de Paramount France, Bob Kane, venu à Paris pour ouvrir
l'antenne parisienne des studios à Saint-Maurice.
LIRE: Pagnol: «Un Américain me fait découvrir les studios français»
Bob Kane propose de lui acheter les droits de sa pièce Marius pour l'adapter au cinéma. Pagnol accepte et tourne avec le réalisateur américain d'origine hongroise Alexandre Korda.
LIRE: Bob Kane achète les droits de Marius; Pagnol tourne Marius
Sorti en octobre 1931, Marius
est l'un des premiers films parlants à succès en France et à
l'étranger. Il lance la carrière de Raimu. Fort de cette réussite,
Pagnol devient producteur et installe ses studios à Boulogne-Billancourt
et à Marseille.
Il détaille comment il a appris toutes les
compétences techniques, jour après jour dans les studios, en regardant.
Et en s'amusant «comme un enfant» avec un maquilleur italien, le
directeur des laboratoires jouant avec ses lampes vertes et rouges, ou
en réussissant sa première collure en salle de montage.
LIRE: Pagnol: «J'essaye d'apprendre le métier de cinéaste»
En 1934, il achète un terrain au-dessus du domaine de La Treille où il tourne César (1936), Regain (1937), La femme du boulanger (1938) et les adaptations de romans de Giono. Il fait jouer les plus grands acteurs: Raimu, Fernandel et Pierre Fresnay.
D'autres réalisateurs adapteront ses livres, notament Marc Allégret pour Fanny et Louis Gasnier pour Topaze avec comme interprète Louis Jouvet, en 1932.
Durant
la Seconde guerre mondiale il interrompt ses tournages et vend ses
studios à Gaumont. Élu à l'Académie française en 1946, marqué par la
mort de Raimu, et après le flop de La Belle Meunière avec Tino Rossi (1948), il renoue avec le succès en 1951 avec une nouvelle version de Topaze avec Fernandel. Puis tourne Manon des sources (1952) et l'adaptation des Lettres de mon moulin (1954).
La fin de son oeuvre cinématographique est marquée par sa présidence du Festival de Cannes en 1955.
Marcel Pagnol : «Un Américain me fait découvrir les studios français»
Marcel Pagnol découvre le cinéma en 1965, il évoque sa
rencontre en 1930 avec Bob Kane des studios Paramount, venu à Paris afin
de réaliser des films en français. Très vite ce personnage haut en
couleur lui fait découvrir les mécanismes et la discipline des studios
d'Hollywood.
Article paru dans Le Figaro littéraire du 21 octobre 1965. […] C'est alors que la Bonne Fortune me fit rencontrer Robert T. Kane.
J'étais
un matin, vers onze heures, dans le bureau d'Adolphe Osso, tout en haut
du building de la Paramount, à Paris. Nous parlions de l'orientation
nouvelle du cinéma: j'essayais de lui faire avouer que les plus fortes
recettes étaient réalisées par les films qui parlaient le mieux; il me
répondait que la fabrication et l'exploitation des films parlants
exigeaient des dépenses extravagantes.
Je ne sais comment il en
vint à me montrer l'état des frais hebdomadaires du cinéma Paramount. Le
total en était énorme, mais un article, en particulier, me frappa: le
seul éclairage de la salle et de la façade exigeait le remplacement de
cinq cent lampes par semaine. Je mis en doute l'exactitude de ce nombre,
simplement parce qu'il m'étonnait. Osso fit alors apporter un très
grand tableau de bois verni, sur lequel étaient piquées ou vissées une
cinquantaine de lampes de types différents. Il y avait celles des
«sorties de secours», celles du «lumineux», celles du vestiaire, celle
du lustre, celles de la rampe, celles du tour de l'écran, qui étaient
bleues, ou vertes, ou rouges, ou mauves, pour faire des «effets».
J'étais fort occupé à les examiner lorsqu'un nouveau venu entra
joyeusement. C'était un homme de haute taille aux épaules larges, aux
hanches étroites. Il avait un visage de statue éclairé par des yeux d'un
bleu pervenche, et il riait à belles dents.
C'était Robert T. Kane lui-même
qui nous arrivait tout droit d'Hollywood. Il apportait des nouvelles et
des cigares. Les cigares étaient d'un brun doré, légers comme des
plumes, épais comme le pouce, et deux fois plus longs qu'un crayon. Les
nouvelles étaient plus belles encore: Robert Kane venait à Paris pour
ouvrir des studios Paramount. La formidable société américaine avait
décidé de faire des films français en France; pour diriger cette
entreprise, elle avait choisi R. T. Kane, parce que, nous dit-il en
anglais, il savait le français.
J'eus l'occasion, par la suite,
de constater qu'il savait dire: «Bonndjor», «Kmont talévo?» et «êtes
vous soaf?» C'est sans doute pourquoi il ne nous parla qu'en anglais.
Comme j'avais appris cette langue en l'enseignant dans plusieurs lycées
set collèges, je pus soutenir la conversation. Il en parut charmé. Comme
Osso m'appelait Marcel, il m'appela Marcel lui aussi et m'invita à
déjeuner.
Avec la vanité puérile des écrivains, je pensai aussitôt que R. T. Kane connaissait mes pièces - car Frank Morgan avait joué Topaze
en Amérique- qu'il les admirait passionnément; qu'il allait me proposer
d'en faire des films et que cette entreprise était le seul but de son
voyage.
J'acceptai son invitation, mais
je me promis d'être prudent: je lui refuserais la plus petite signature
avant d'avoir réfléchi quarante-huit heures, et dès sa première
proposition je poserais mes conditions. Elles étaient nombreuses, et
chacune d'elle sine qua non.
Nous déjeunâmes tous les deux en
garçons, dans un grand restaurant des boulevards. La chère fut exquise,
les vins des meilleurs années. R . T. Kane buvait avec l'intrépidité des
Américains et voulait me forcer à lui tenir tête. Je songeais: «il veut
m'enivrer pour m'avoir plus facilement». Je bus fort peu.
D'autre part, il ne parlait que des studios d'Hollywood, des metteurs en scène Américains, des stars, des «cameramen».
Aucune allusion à mes œuvres. J'en conclus qu'il était très fort et
qu'il cachait son jeu avec une habilité très américaine. Je résolus
d'être aussi fort que lui, de me taire autant qu'il le faudrait et de
«le voir venir»… Enfin pendant que le maître d'hôtel servait les
liqueurs, il m'offrit encore un de ses cigares de milliardaire et me dit
affectueusement:
- Est-ce que vous fabriquez vos lampes vous-mêmes?
Je fus stupéfait.
- Bien sûr que non, lui dis-je. Pourquoi voulez vous que je fabrique des lampes? Quelles lampes?
-
Celles que vous fournissez au Paramount; d'ailleurs, ajouta-t-il
aimablement, elles sont d'une forme splendide. Oui, vraiment, nous
n'avons pas mieux en Amérique.
Je devins rouge de dépit.
Naissance des studios des Réservoirs
-
Mon cher Monsieur, lui dis-je d'un ton peu amical, si vous me prenez
pour un commis voyageur, je me demande pourquoi vous m'avez invité à
déjeuner!
- Parce que vous avez une bonne gueule, me dit-il, et puis parce que vous parlez l'anglais…Sérieusement quel est votre métier?
Deux mois plus tard Bob Kane
était mon excellent ami. Il venait de construire les studios des
Réservoirs, à Saint-Maurice. Ce centre de productions comprenait huit
plateaux, les plus vastes et les mieux équipés de France, complétés par
un laboratoire dont la richesse et l'excellence n'ont jamais été
dépassées.
Le plan de travail prévoyait qu'on y travaillerait jour et nuit, sauf pendant le repos du samedi soir au lundi matin.
Afin
de constituer une troupe stable, Bob Kane avait engagé pour une longue
durée les acteurs de cinéma les plus connus (tout au moins des plus
connus d'André Daven qui était son «casting-director», c'est-à-dire le
chef de la distribution des rôles).
Comme Bob Kane les payait
fort cher et qu'il ne comprenait pas le français, il leur trouvait un
énorme talent; parce qu'il faisait imprimer en grosses lettres sur des
dizaines de milliers d'affiches, il pensait qu'ils étaient célèbres: ils
le devinrent en effet.
Je ne veux pas dire par là que la
Paramount utilisa que des mauvais acteurs: il lui arriva de découvrir et
de lancer des comédiens qui avaient le sens du cinéma: Marcelle
Chantal, Henri Garat, Meg Lemonnier en sont la preuve. Cependant, il y
avait à Paris, libres d'engagements cinématographiques, quelques
artistes d'assez grande envergure: Charles Boyer, Pierre Blanchar,
Raimu, Gaby Morlay, Elvire Popesco, Yvonne de Bray, Louis Jouvet…Bob
Kane les ignora longtemps et ne réalisa jamais ce que ses capitaux lui
auraient permis de faire: la première troupe du monde.
Lorsque j'arrivais dans cette usine, elle tournait déjà depuis deux mois, et la discipline d'Hollywood y régnait.
Un
concierge intelligent et instruit - ce qui est une admirable invention
américaine - en gardait la porte. Nul ne pénétrait sans une carte ornée
de plusieurs signatures […]
Sans carte contresignée, sans
convocation d'aucune sorte, je fus, moi, chétif, reçu dans les studios
de Saint-Maurice - non pas en qualité d'auteur, mais au titre d'ami
personnel de Bob Kane.On me donna même un insigne en métal émaillé: il
représentait un volcan en éruption. C'était l'emblème de la Paramount:
il y avait dans la cour des studios une image de ce volcan, composée
avec de petites pierres de couleurs différentes, et cette mosaïque en
relief, protégée par une grille circulaire, comme un monument, était
l'objet d'une vénération particulière.
Tous les employés de la
maison, et surtout les Américains, se taisaient en passant devant cette
œuvre d'art: c'était, en quelque sorte, le totem de la tribu. J'eus ma
chaise dans la salle à manger du «staff» , c'est-à-dire de l'état major
[…]
La salle à manger est sacrée
On m'avait donné la
meilleure place, à côté du patron, qui était le premier contre le mur du
fond. Bob mangeait un pain spécial: j'avais l'honneur et le plaisir
d'en recevoir chaque jour la moitié, sous les regards jaloux des autres.
Cette
salle à manger était sacrée; Il y avait là Steeve Fitzgibbons, Dick
Blumenthal, André Daven, Saint-Granier, Alexandre Korda et un certain
nombre d'invités de marque, qui se renouvelaient tous les jours: stars
d'Hollywood de passage à Paris , directeurs ou présidents des Majors
compagnies, grands écrivains étrangers ou français, ou metteurs en scène
célèbres. Mais ces invitations ne s'adressaient jamais aux comédiens ni
aux techniciens de la maison.
Je commis, un jour, en toute innocence, un crime.
Je
rencontrai dans la cour des studios un ami d'enfance, qui était
deuxième assistant à la prise de vues. Il voulait me parler d'une
affaire personnelle. Il était quatre heures de l'après-midi, la salle à
manger était vide. Nous allâmes y boire un verre de bière, pour y
discuter à notre aise; nous y demeurâmes vingt minutes.
Le
lendemain, je vis Bob Kane dans son bureau: il m'avait fait appeler par
un planton. Bob était grave et triste. Ses beaux yeux bleus étaient
voilés. Il referma la porte derrière moi, se tut pendant une minute et
dit enfin lentement: «Hier, tu as bu dans notre salle à manger avec un
deuxième assistant.»
J'en convins. Il ne dit rien d'autre, mais
il me regarde longuement. Il y avait dans ce regard une véritable
douleur. Ainsi un archevêque désolé regarderait le mauvais prêtre qui a
invité le bedeau à boire dans son calice. Par Marcel Pagnol
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