jeudi 30 juillet 2015

Les expressions favorites des politiques : «La langue de bois»

  Langue de bois - Lecture - Bande dessinée - L-M-N-O
LE SCAN POLITIQUE - À la faveur de l'été, Le Scan politique vous propose de décrypter une expression récurrente dans le discours des politiques. Aujourd'hui, «la langue de bois».
Tous les partis tombent dans l'écueil, bien que chaque responsable politique s'en défende. C'est le code nécessaire d'une communication dans la concorde, à l'heure où chaque mot est scruté. C'est un puissant repoussoir pour un électorat désabusé toujours plus tenté par l'abstention: la langue de bois. Sa pratique, érigée en art dès les bancs de certaines grandes écoles, uniformise l'expression publique sous le vernis d'une certaine convenance. De nombreux responsables politiques promettent de s'en défaire pour toujours en espérant attiser ainsi l'ardeur des révoltés de tous bords, avant d'y revenir par nécessité du consensus. C'est le romancier Stendhal, dans son roman Le Rouge et le Noir qui en délivre le plus clairement la formule: «La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée».
En langage politique on prête volontiers à la langue de bois des tares et des vertus qui la rendent nécessaire: elle permet de transformer, de réécrire ou cacher la vérité, de répondre à côté d'une question gênante ou de noyer une absence de pensée et de maîtrise d'un sujet sous un déluge de paroles creuses. Il s'agit souvent de faire appel aux sentiments pour dissimuler la carence de faits ou de connaissances concrètes. Bref, savoir s'exprimer sur tout sans être expert en rien. La langue de bois possède également des vertus diplomatiques et offre un moyen de s'attirer les bonnes grâces d'un adversaire en vue de l'employer selon des intérêts qui ne sont pas les siens. Elle permet de neutraliser ou d'adoucir les choses qualifiées, de faire acte de prudence et de ruse.
La paternité connue de l'emploi de cette expression en politique revient aux Russes du début du XXème siècle, un peuple confronté depuis fort longtemps aux affres d'un «État Léviathan». À l'origine «la langue de chêne» exprimait une moquerie à l'encontre du langage administratif et procédurier adopté au sein de l'administration impériale. La révolution soviétique va ériger cet art du langage bureaucratique en marque de fabrique, et répandre la langue de chêne jusqu'aux confins du rideau de fer. D'un pays à l'autre, les détracteurs de cette «nov'langue» (La langue de bois selon Georges Orwell, ndlr) politiquement correcte parlent non plus de «chêne» mais de «bois». Dans d'autres pays où la notion existe, le matériau varie: on parle de «langue de béton» en Allemagne ou de «langue de plomb» en Chine par exemple.

Un prix de la langue de bois

En France le terme est popularisé à partir des années 70 et 80, notamment lorsque Paris se prend de passion pour le combat de Solidarnosc contre la domination de Moscou. Elle répond également aux doux noms de xyloglossie ou xylolalie, et trouve un pendant dans l'expression «noyer le poisson». La langue de bois fait l'objet d'un rejet mais aussi d'une certaine passion: on trouve plusieurs ouvrages qui lui sont consacrés et même de nombreux générateurs artificiels de formules toutes faites. Comparés aux discours véritablement entendus, les exemples générés sont parfois saisissants: «Dès lors, sachez que je me battrai pour faire admettre que l'acuité des problèmes de la vie quotidienne doit s'intégrer à la finalisation globale d'une restructuration dans laquelle chacun pourra enfin retrouver sa dignité». L'essentiel pour l'homme politique reste de faire mine de s'en démarquer. Une démarche théorisée par Jean Luc Mélenchon en 2013: «Je parle dru et cru pour créer du conflit et de la conscience».
Élément déterminant de la parole politique la langue de bois fait logiquement l'objet de nombreuses attentions de la classe politique. À droite, Jean-François Copé, député les Républicains et ancien président de l'UMP, a même juré dans le titre d'un livre ; Promis j'arrête la langue de bois. Une promesse qui ne lui a pas épargné quelques difficultés par la suite. À gauche, la langue de bois fait même l'objet d'un prix, le «PS d'or» qui récompense les plus talentueux xyloglottes de la rue de Solférino. Organisé par un parterre de journalistes depuis 2009 en large de l'université d'été du PS à la Rochelle, l'ancien premier secrétaire du PS Harlem Désir a remporté cinq fois le prix haut la main. Mais cette hégémonie est désormais contestée: en 2014 c'est la ministre Najat Vallaud-Belkacem qui a raflé la récompense.

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