lundi 24 novembre 2014

Où en est le français dans le monde ?

Où en est le français dans le monde ?

24/11/2014     

 - DR
 
Elle est la deuxième langue la plus apprise au monde, la 2e langue, aussi, de travail dans la plupart des organisations internationales, la 4e c’est un « géant aux pieds d’argile », la qualifie un membre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). À la veille du XVe Sommet de la Francophonie à Dakar, Louis-Jean Calvet, professeur à l’Université de Provence et spécialiste de politologie linguistique, nous donne le pouls du français. sur internet... Pourtant,
On a tendance à croire que le nombre de locuteurs détermine le poids d'une langue. Fait-on fausse route?
 Oui et non. Le nombre de locuteurs d’une langue n’est pas un indicateur suffisant pour juger de la vitalité d’une langue, cette approche est incomplète : c’est par rapport aux autres langues qu’il faut l’évaluer. Je vais prendre une exemple simple. Au Mexique, entre 1930 et 1990, le nombre de locuteurs des langues indiennes est passé de deux à cinq millions, soit une augmentation importante : il a été multiplié par 2,5. Croissance ? Cela dépend du point de vue adopté car, dans le même temps, la population du pays est passée de 14 à 70 millions, et la proportion de ces locuteurs a donc été divisée par deux, passant de 15% à 7%. Il est vrai que le nombre de locuteurs est un facteur important, mais il y en a beaucoup d’autres. Pour être concrets, prenons encore des exemples réels. Le nombre des locuteurs peut nous donner un classement des langues. Le mandarin est ainsi la langue la plus parlée dans le monde, suivi de l’espagnol, de l’anglais, du bengali, du hindi, et le français est en quatorzième position, ce qui devrait nous rendre modestes. Mais si nous prenons un autre facteur, celui du nombre de pays dans lesquels les langues sont officielles, l’anglais prend la tête, suivi par le français, l’espagnol, l’arabe, et le mandarin se retrouve en neuvième ou dixième place. Ces deux facteurs sont importants. Près de quarante pays ont le français pour langue officielle et s’ils avaient des positions politiques communes, ils pourraient jouer un rôle non négligeable à l’ONU par exemple. Dans notre « baromètre des langues du monde », nous avons pris onze facteurs, les uns économiques, comme l’Indice de développement humain (IDH), les autres démographiques comme le nombre de locuteurs, le taux de véhicularité ou le taux de natalité, d’autres culturels, etc. Et le traitement statistique du comportement des langues face à ces facteurs nous donne un classement qui nous montre que les premières langues, anglais, espagnol, français, sont d’origine européenne mais sont parlées dans le monde entier, en Amérique latine pour l’espagnol, en Afrique et en Amérique du nord pour le français, un peu partout pour l’anglais... Le français n’est pas, ou n’est plus, uniquement, la langue de la France, il est la langue de la francophonie.

Justement, à propos de ce baromètre que vous avez créé avec votre frère Alain Calvet, comment se porte le français dans le monde ?
Comme les langues indiennes du Mexique, le français voit le nombre de ses locuteurs augmenter sans cesse. Mais moins, proportionnellement, que certaines autres langues. Il est cependant dans les toutes premières langues face à des facteurs comme sa fonction de langue officielle, les flux de traduction (il est la deuxième langue source de traduction, derrière l’anglais, la deuxième langue cible, derrière l’allemand), les prix littéraires internationaux (il est à la deuxième place, derrière l’anglais), il est la troisième place sur Wikipedia, derrière l’anglais et l’allemand, etc. Par ailleurs le français est la principale langue du Tribunal pénal international, une des six langues de l’ONU, etc. Il faut en finir avec les discours de pleureuses : le français est une des grandes langues du monde, même s’il n’est pas la seule, bien sûr. 

 Pourquoi le mot « francophonie » sonne-t-il toujours un peu néocolonial ? 
Il y a une réalité indiscutable : l’importance mondiale de l’anglais, du français, de l’espagnol, du portugais ou de l’arabe repose sur le passé colonial des pays dans lesquels ces langues étaient parlées. Si l’on parle arabe du Liban ou de l’Irak au Soudan ou à la Mauritanie c’est parce que, il y a treize siècles, des guerriers venus de la péninsule arabique ont envahi ces régions. Si l’on parle espagnol au Pérou ou portugais au Brésil, c’est parce que l’Espagne et le Portugal ont été des pays impérialistes, et il en va de même pour le français. Cela relève de l’histoire. Et si nous parlons français en Belgique, en France et en Suisse, c’est aussi le résultat d’une invasion venue de l’est, celle des indo-européens, puis, ensuite, le résultat de l’expansion de l’empire romain. Cela fait-il aujourd’hui de la francophonie un fait colonial ou néocolonial ? Distinguons d’abord entre deux sens de ce terme. Avec un f minuscule, la francophonie est un fait sociolinguistique : l’ensemble des pays dans lesquels le français joue un rôle dans la communication quotidienne. Avec un F majuscule, la Francophonie est une réalité géopolitique, l’ensemble des pays adhérant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Et ces deux ensembles ne se recoupent pas toujours : l’Algérie, qui n’est pas membre de la Francophonie géopolitique, est évidemment un pays important de la francophonie sociolinguistique. Mais les instances de l’OIF appartiennent à ses pays membres, c’est à eux à d’en définir la politique. Bien sûr les pays du Nord, la France, la Belgique, le Canada, y ont une grande influence, mais le Sénégal ou l’Ile Maurice y ont également leur poids, proportionnel à leur importance internationale.

 L'espace francophone semble dominé par le français estampillé Académie française... et parisienne. Or, à la veille du Sommet à Dakar, beaucoup voient l'avenir de la francophonie en Afrique... 
 Non, ce n’est pas le français de l’Académie française qui domine le monde francophone. Le film qui a remporté le grand prix du jury à Cannes en 2014, Mommy, de Xavier Dolan, est un film québécois dans lequel on entend un éventail linguistique intéressant. Un peu, très peu, de français standard, du français québécois ensuite, mâtiné d’emprunts à l’anglais, et enfin le joual, ce parler populaire québécois qu’un Parisien ou un Bruxellois ont du mal à comprendre. Il y a là plusieurs directions de variation : une direction géographique (le français québécois n’est pas le même que le français marseillais par exemple), une direction identitaire (en parlant la forme locale de la langue on dit qui l’on est) et une direction sociale (un homme politique ou un avocat ne parlent pas la même langue qu’un ouvrier). Et cette variation se retrouve dans l’ensemble de la francophonie : il existe un français sénégalais, un français congolais, un français mauricien... Il y a en ce moment sur la chaîne de radio France Inter deux émissions phares, l’une quotidienne (Si tu écoutes j’annule tout) dont les deux animateurs sont belges et parlent un français typiquement belge, leur français, et l’autre hebdomadaire (L’Afrique enchantée), dont l’un des deux animateurs parle un français typiquement ivoirien. C’est aussi cela, la francophonie, et une radio nationale française lui donne ainsi un large écho. Mais les représentants des différents pays de la francophonie parlent bien sûr entre eux une forme standard de la langue. Cela dit, vous avez raison, l’avenir démographique de la langue française se trouve en Afrique. Pour une raison simple : la natalité des pays africains francophones est très supérieure à celle des pays francophones du nord. C’est pourquoi, dans notre baromètre, le taux de natalité des populations parlant telle ou telle langue a été pris comme l’un des facteurs. Mais ce qui fait le poids du français en Afrique c’est surtout sa fonction officielle dans une quinzaine de pays. Et cette fonction relève de la politique linguistique de ces différents pays. C’est eux qui décident de leur langue officielle, et ils pourraient en changer. 

 Le dernier rapport OIF témoigne d'une régression rapide de la langue française dans les institutions internationales. Est-ce un signal particulièrement alarmant ? 
Faut-il intensifier la guerre contre l'anglais ? Comme je viens de le dire, elle est la langue officielle de nombreux pays et, sur ce point, elle n’est pas menacée ! Le rapport de l’OIF auquel vous faites allusion compte 574 pages , et c’est à la toute fin du livre qu’il souligne la tendance au monolinguisme dans la vie internationale. Il y a des règlements linguistiques dans les organisations internationales, et il faut les faire respecter. Par exemple, le secrétariat général de l’ONU est officiellement bilingue, français et anglais, mais les Américains renâclent à respecter ce point du règlement. Il faudrait les y forcer. Cela ne constitue pas une guerre contre l’anglais, mais une défense de la diversité linguistique, une défense de toutes les langues. Je viens de participer à un grand colloque organisé à Bruxelles par l’Union européenne, j’y ai donné une conférence en français, qui était traduite en 23 langues. En anglais comme en lituanien. C’est cela la diversité linguistique et la défense de la place du français est aussi une défense des autres langues. Quels sont, selon vous, les vrais enjeux de la francophonie? Que pensez-vous du rapport Attali préconisant une union francophone économique ? Attali a raison sur un point fondamental : si l’avenir du français se joue bien en Afrique, il demeure que c’est l’avenir économique de l’Afrique qui doit être au centre de nos préoccupations. Je me sens concerné par l’avenir de la langue française, comme d’ailleurs de celui des autres langues, mais mon projet n’est pas que des Africains meurent de faim en parlant français. Ce n’est pas cela la Francophonie. Le problème central est un problème de développement, et le développement passe aussi par des choix de politique linguistique. L’OIF développe par exemple de nombreuses opérations d’introduction de langues africaines dans l’enseignement primaire, à côté du français, parfois avant lui. Et l’on peut imaginer que certaines opérations de développement se passent en langues africaines, que certaines formations professionnelles aient lieu en langues africaines. Cela dépend du choix des pays concernés, la Francophonie est là pour les aider mais pas pour décider à leur place. 

Quels dangers majeurs va devoir affronter la langue française à l'avenir ? 
 Je ne parlerais pas de « dangers », plutôt de défis. Essentiellement le défi du plurilinguisme, de la diversité linguistique. La tendance au monolinguisme anglophone est une menace pour la diversité en général, la diversité culturelle en particulier. Pour lutter contre cette tendance au monolinguisme à l’échelle mondiale, il faut aussi balayer devant notre porte. Et pas seulement en Afrique. On parle en France d’autres langues que le français, des langues de migrants, comme le berbère, le chinois ou l’arabe, des langues régionales, comme le basque, le breton, le provençal ou le languedocien. Pour être crédibles, les défenseurs de la langue française devraient se préoccuper aussi de ces langues. 

Propos recueillis par Florence Chédotal 
 florence.chedotal@centrefarance.com

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